La promenade des Anglais, Nice, le 24 juin 2016, vers 15h. Photo: Mathieu Bédard |
Hier nous y étions. Enfin pas hier mais presque. C’était le 24 juin dernier. Antoine marchait lentement le long de la promenade en me demandant pourquoi nous n’avions pas apporté nos serviettes et maillots. Il faisait chaud, mais une brise de la Corse adoucissait le moment. Il regardait les uns jouer au volleyball de plage, puis les autres, prélassés, exposés au soleil intense. Aucun nuage dans le ciel. En croisant la zone destinée à diverses activités de l’Euro 2016, nous nous sommes arrêtés pour regarder jouer des jeunes à une version minimaliste du foot, dans un mini-terrain entouré d’un filet, aménagé pour l’événement. Ils étaient hallucinants de talent. Ensuite nous avons mangé un sorbet chez Fenocchio, mangue et fruit de la passion pour lui, citron et pêche de vigne pour moi. En traversant la vieille ville pour nous rendre au sommet du parc du Château, où se tenait un rassemblement de la gauche, nous nous sommes arrêtés dans un petit parc escarpé pour boire un peu d’eau à l’ombre. Un itinérant dormait paisiblement sur le banc d’à côté. Plus loin, deux femmes voilées laissaient leurs enfants s’amuser à courir après les pigeons. Antoine m’a rappelé qu’il aimait faire ça quand il était petit. Que parfois l’envie lui revenait de se sentir souverain de ces usines à déjection qui abiment tant les statues. Rendus au sommet, il a joué avec plusieurs enfants dans un plus grand parc, s’amusant à escalader cette immense toile d’araignée dont la cime était atteignable, mais non sans effort. Il m’envoyait régulièrement la main pour que je témoigne de son ascension et que nous gardions le contact. À quelques mètres de là, j’ai pris des photos du port et, par la suite, en me rendant de l’autre côté du jeu, j’ai capté la promenade des Anglais, où nous déambulions quelques instants plus tôt. Elle s’allongeait maintenant jusqu’à l’aéroport, bordée de plages de galets qui semblaient désormais du sable fin, tellement nous étions loin. La vie était parfaite. Elle le redeviendra.
Ma génération n’a jamais connu la guerre. En fait, ma génération n’a pas connu grand chose. Peut-être est-ce pour ça que ses ténors ne savent que critiquer, englués dans une mécanique stérile de dérision, de cynisme et de simplification.
Après une bonne heure à gravir des jeux et à prendre des photos, nous sommes redescendus directement vers le bord de mer et avons rejoint notre petite Polo stationnée sous le Méridien, à une quinzaine de minutes de marche. Nous avons encore été médusés pendant de longues minutes par les joueurs de foot, d’autres jeunes tout aussi talentueux. Une mosaïque au profit du plaisir. Le foot était clairement leur religion.
Ni les bombes, ni l’amour, en fait, rien n’y peut. Cette envie de tout détruire est humaine. Les cycles se succèdent depuis des millénaires. Est-ce normal qu’un parfait idiot se retrouve candidat à la présidence américaine, acclamé par des millions d’invertébrés qui désirent eux aussi tout casser? Probablement. Le temps nous amènera inlassablement à la fin de ce cycle, qui semble s’amorcer. J’espère de tout coeur me tromper, mais j’ai comme une impression, une forte impression, qu’après ce cycle, dans une décennie ou deux ou trois, ma génération et la «Y» et celle de mon fils auront finalement connu la guerre ou son équivalent. Et là, les ténors d’aujourd’hui, désormais exposés à la vie, fermeront enfin leur grande gueule, convaincus qu’ils ne savaient rien.
En revenant à notre quartier général, à une heure de Nice, nous nous sommes baignés dans l’immense piscine désertée du complexe rococo où était situé notre petit appartement. Je vous jure que si jamais tout s’écroule, c’est au souvenir de ses yeux rieurs, à ce moment précis, dans lequel je voudrai sombrer pour le reste de ma vie.
Mathieu