jeudi 7 avril 2016

Féminisme et publicité : voir plus loin que le bout de son nez



Le thème du féminisme est la saveur du mois. Des ministres exécrablement incultes s’en dissocient maladroitement pour ensuite pédaler à reculons. Marie-France Bazzo y voit une belle occasion d’attirer un peu d’attention sur elle en cette période très très difficile. Même un gnome insignifiant comme Éric Duhaime y voit une occasion d’engranger encore plus de sympathie de sa clientèle d’hommes lobotomisés et en colère...

On perçoit généralement une méconnaissance et un manque de perspective historique de la majorité des chroniqueurs sur le sujet. Et la publicité dans tout ça ? Elle n’y échappe pas, le féminisme demeurant une notion qui doit quotidiennement guider nos pratiques, tant sur le plan créatif que stratégique. Parce que vous savez quoi ? C’est absolument possible de générer des tonnes de résultats tout en prônant des valeurs progressistes. Simple de même. Faut juste voir plus loin que le bout de son nez et cesser de prendre les gens pour des débiles.


L’identité sexuelle en cinquante nuances
Quand on parle de féminisme, bien évidemment, on parle d’égalité entre les sexes, d’équité dans les conditions de travail et dans la rémunération; on parle d’enrayer la violence faite aux femmes; on parle de ne plus se mettre la tête dans le sable en ce qui a trait au sort des femmes autochtones et à l’exploitation sexuelle des mineures ou encore à l'hypersexualisation. Mais rarement allons-nous évoquer la nature même de l’identité sexuelle. 

L’identité sexuelle n’est surtout pas noire ou blanche. Selon le mégasondage du portail Web «Fusion» portant sur la Génération Y, plus de la moitié des répondants affirment ne pas reconnaître la question de genre sexuel en terme d’absolu. Pourquoi les publicitaires devraient-ils s’adresser à des masses en noir et blanc alors que la réalité indique une palette infinie de tons de gris ? Pourquoi polariser la publicité par genre et s’aliéner par le fait même une partie importante des deux sexes ? Ne devons-nous pas viser la pertinence absolue ? Comme le mentionnait récemment Alexandra Matine, stratège à l’agence 72andSunny de Los Angeles (Adidas, Samsung, etc.), la publicité de type « Femvertising » n’aurait-elle pas justement comme impact d’élargir le fossé entre les sexes, en confinant les femmes à une certaine forme de publicité trop centrée sur leur identité ?  

Une pratique qui doit s’ajuster au quotidien
Quoi faire pour concrètement prôner un féminisme sain en création ou stratégie publicitaire ? 
Voici quelques pistes, en vrac.
1- Cesser de polariser les cibles sur les seuls fondements de leur identité sexuelle. Oublier le paradigme de la publicité conçue pour un homme ou une femme. Penser davantage à l’humain et à ses aspirations, moins aux genres et aux clichés.
2- Se conditionner à évacuer la création centrée sur des situations où l'on voit interagir des couples. De un, on en a soupé. De deux, c’est la majorité du temps un gros prétexte pour véhiculer les pires stéréotypes.
3- Mettre le produit en avant. Ça semble con, mais c’est plus difficile que ça ne le paraît. Pourquoi montrer une femme qui utilise un détergent quand on peut montrer le détergent, simplement ? Être créatif ne signifie pas de se limiter à la sempiternelle projection psychologique. Montrez un bon produit, directement ou indirectement, faites votre saut créatif, amusez-vous. Vous voulez un exemple efficace ? Regardez la publicité en intro. Voilà.

Je crois sincèrement qu’il existe une superbe zone en création publicitaire où les hommes et les femmes peuvent être exposés aux mêmes messages et que nous pouvons développer des plateformes qui vont propulser les marques dans un registre inoculé du sexisme implicite. L’époque des publicités qui se font une mission de nous affliger de leur prêchi-prêcha sur les genres sexuels en manipulant les consommateurs à des fins commerciales est révolue. Cessons de dire en publicité que les femmes méritent l’égalité et passons enfin à l’action. Le féminisme en publicité, c’est aussi de se projeter dans un avenir libéré de la cuirasse inutile des genres, dans un avenir postféministe.

Mathieu

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