Préface
Je déteste le mot « storytelling », car il implique trop souvent une mise en scène vulgaire par des stratèges qui méprisent l’intelligence du consommateur. En lançant la nouvelle identité de notre agence, nous avons voulu communiquer son essence, sans toutefois tomber dans le piège de la frime d’une industrie qui tend trop souvent à se complaire dans un vocabulaire qu’elle seule est à même de comprendre. Notre idée : un flirt littéraire, une nouvelle, huit chapitres, huit chansons à écouter pendant la lecture, huit semaines. Un peu comme une série télé. Mais surtout, une liberté absolue accordée à son auteur et une transposition qui prendra son sens différemment d’une personne à l’autre. Pourquoi la diffuser sur FacteurPub ? Car nous croyons que les blogues peuvent servir à autre chose qu’à émettre de l’opinion. Alors vraiment, en toute humilité, sans une once de prétention et avec, je l’avoue, plusieurs papillons dans l’estomac, je me lance et je vous l’offre. Mais non sans prendre le temps de vous remercier à l’avance du privilège, immense, que vous me faites de m’accorder votre temps de lecture, que ce soit pour un chapitre ou pour la nouvelle en entier.
m.
« La musique creuse le ciel. »
- Charles Baudelaire, Journaux intimes (1887)
Chapitre 1
Debby
Debby
Elle gémissait par saccades, en plantant dans son dos ses ongles trop parfaitement vernis de ce taupe Chanel que toutes arboraient cet automne-là ; elle sortait sa langue pour la joindre à la sienne, mais il détournait systématiquement son visage pour l’éviter et préserver sa concentration. Huit minutes. C’est tout ce qui le séparait d’un petit pactole. Huit interminables minutes à inlassablement pistonner cette quinquagénaire trop parfumée, rencontrée quelques mois auparavant dans un cocktail du Publicité Club où il servait des canapés de foie gras à la figue fraîche, afin de payer sa fin de mois tout en bonifiant son réseau de contacts. Une quinquagénaire, à quelques années de la retraite, qui n’acceptait pas plus son âge que l’incontinence relative d’un mari de vingt ans son aîné. Et malgré des investissements répétés pour aplanir son ventre, arrondir ses seins, gonfler ses lèvres et minimiser ses pattes d’oies, cette verbomotrice présidente d’une agence de publicité sur le déclin n’avait visiblement plus les moyens de ses ambitions amoureuses, en plus d’infliger une haleine qui trahissait une molaire pourrie, ou deux, qui sait ? Plus elle s’approchait de son plaisir, en transe, rivée sur ses yeux, plus la douleur qu’elle infligeait à Julian, avec ses griffes, l’éloignait d’elle. Après un dernier sprint olympique où elle lui aurait volontiers décerné une médaille d’or pour la persévérance, il relâcha finalement la purée, bien assuré au préalable par l’orgasme trop long et bruyant de sa partenaire. Relativement dégoûté, il y était arrivé en pensant très très fort à une scène vue la veille dans un clip où une fille, trop jolie pour faire de la pornographie, feintait d’apprécier la dix-huitième décharge sur son visage angélique. Quelques minutes plus tard, après avoir déminé l’ambiance en initiant quelques échanges banals, il ramassa ce que Debby lui avait laissé sur la table basse placée à l’avant de cette suite junior du W, se rhabilla rapidement et quitta sans dire mot, vidé, désensibilisé malgré un dos charcuté, mais avec ce qu’il lui fallait pour subsister encore quelque temps. Il n’avait pas mis de condom, car elle lui semblait trop dépassée pour représenter un risque réel. Et parce que ça en valait la chandelle.
Après une vingtaine de minutes à somnoler dans le métro, il revint chez lui, au cinquième étage d’un immeuble industriel au revêtement noirci par la pollution. Il louait un loft rectangulaire assez spacieux mais mal chauffé. Le plafond, à 14 pieds, amplifiait l’effet de vide relatif qui régnait. Les murs de briques peintes à de nombreuses reprises et l’éclairage déficient étaient compensés par de grandes fenêtres, qui donnaient directement sur la rue. À une extrémité à gauche, près des fenêtres, un vieux loveseat baroque devant un meuble télé minimaliste ; de l’autre côté, une chambre rudimentaire constituée d’un matelas Queen déposé à même le sol, au centre d’une table de chevet coloniale orpheline et d’une chaise antique grège trouvée dans un marché aux puces ; un peu plus au centre, sur et autour d’un imposant bureau d’agent d’assurance des années 70, un studio d’enregistrement composé d’amplificateurs, de haut-parleurs compacts, d’un ordinateur portable, d’une console de mixage, de trois guitares — dont deux électriques — d’un clavier assez récent et de micros, dont un superbe Rode Classic sur pied ; vers l’avant, une grande table ronde en bois massif brûlée par des joints de haschich, accompagnée de cinq chaises dépareillées ; puis dans l’espace arrière, les pièces avec plomberie : à gauche, une minuscule toilette fermée, avec bain sur pieds, rideaux de douche de plastique translucide jaunis, achetés par le locataire précédent, et une vanité minuscule avec lavabo intégré ; puis sur le côté droit, finalement, dans un espace étroit et mal aéré, une cuisine rafistolée de vieux électros ocre, d’un comptoir de mélamine blanche tachée par du vin, de quelques armoires en bois et d’un petit évier rempli de vaisselle sale. Il émanait de l’endroit une odeur inqualifiable, synthèse nauséabonde des serviettes moisies par l’humidité, des déchets en putréfaction avancée compactés dans la poubelle, et d’un linge à vaisselle étonnamment rigide. Ce loft demeurait néanmoins son quartier général. Il y était bien. C’était tout ce qu’il possédait.
Il vivait à moins de trente minutes du centre-ville, près d’une ligne de train qui joignait la banlieue nord. Petits cafés, restaurants typiques, pubs surannés, studios de tatouage old school, boutiques de vinyles vintages et friperies poussiéreuses faisaient vibrer son quartier au rythme d’une autre époque, celle d’avant la lobotomie collective infligée par les réseaux sociaux et les téléphones intelligents. Un quartier où l’on s’accordait toujours cette liberté de ressentir la douleur comme le plaisir, où l’on humait doucement les arômes des épices en route vers le marché public ; un quartier où l’on pouvait encore prendre le temps de discuter assis sur un banc, sans se presser, et où l’on pourrait toujours prendre place seul au bar pour siroter une bière, en attendant de draguer ou pas, sans jamais se sentir jugé. Un quartier où le temps pouvait être simplement dégusté comme autrefois. Un quartier tissé serré.
En rentrant chez lui, il barra la porte, enleva ses chaussures puis ses chaussettes, qu’il huma par réflexe. Il déposa ensuite sur la table son portefeuille nouvellement épaissi, ses clés, et son téléphone dont la pile affichait 6 % d’autonomie, avant de fermer les grands rideaux afin de tamiser la lumière projetée par les grands réverbères de dehors. Exténué, il laissa tomber ses jeans skinny aux motifs militaires à côté de son lit, défait depuis des semaines, mais conserva son t-shirt noir ajusté, avant de finalement sombrer, comme une loque, dans un profond sommeil. Le reste de la nuit et une bonne partie de la journée passèrent en quelques instants, avant qu’un bruit violent ne vienne le réveiller subitement, entre deux cycles. On cognait à la porte. Fort et sec. Il décida de faire le mort en espérant que ça cesse, les yeux fixés sur le plafond. Ça ne pouvait pas être son propriétaire, car le loyer était réglé. Mais ça ne cessait pas et les coups sur la porte se faisaient de plus en plus insistants. Son rythme cardiaque s’emballait soudainement. Les pensées se bousculaient dans son esprit encore engourdi par le sommeil. Il ne devait d’argent à personne. Il n’avait menacé personne. Le bruit s’amplifiait et résonnait maintenant dans le loft en entier, par séquences rapprochées, insoutenables. Un voisin qui voulait se plaindre des odeurs ? La police ? Non, il n’avait rien à se reprocher. Un malentendu ? Un junkie perdu ? Combien de fois s’était-il plaint de cette serrure brisée à l’entrée de l’immeuble… Puis, une voix grave se fit entendre, dans un mélange d’agressivité et d’exaspération : « J’sais que t’es là. Ouvre. Ouvre ! Ouvre sinon j’vais défoncer et t’arracher la tête de mes propres mains !! OUVRE MAINTENANT !!! »
Chapitre 2
Lou
Lou
Julian reconnut la voix après quelques secondes. L’adrénaline avait fini par éclaircir sa mémoire. La menace n’en était pas une. Bruno ressemblait à un bulldog mais ne mordait pas. Il était trapu, le crâne rasé, les yeux bleus, un petit anneau argenté à l’oreille gauche, toujours vêtu que de noir : veste de cuir, polo, pantalon droit et bottes Doc Martens classiques. Il ne lâcherait pas le morceau, pas son genre. Julian le savait. Il dut donc sortir de son lit, par dépit. Il remit alors ses skinny et se dirigea vers la porte pour ouvrir, la main gauche dans les cheveux, en annonçant qu’il arrivait, d’une voix usée, morne.
Bruno : « Tu regardes pas les nouvelles ? T’as pas pris tes messages ? Prends-tu tes osties de messages parfois ? Ta mère mourrait que tu l’apprendrais un mois trop tard… »
Julian, irrité, le regard furtif, mais se doutant du motif de cette visite : « Ma mère est morte depuis quinze ans le cave. Qu’est-ce que tu veux ? »
Bruno, très sérieux : « C’est Lou. Il s’est effondré sur scène hier. Il te réclame. Il fait que dire ton nom en boucle depuis ce matin. En fait, il n’a fait que ça toute la journée. Il veut pas manger. Il déraille. Je l’ai jamais vu comme ça. J’ai tenté de faire venir son médecin à la maison, mais il a refusé net. Ça va vraiment pas. Viens avec moi, reste juste un peu avec lui, ensuite j’te ramène, pas plus d’une heure ou deux. J’te promets que j’te ramène. Dis combien tu veux… »
Julian, sur la défensive : « Tu sais comment ça s’est terminé la dernière fois. Je m’étais juré. Plus jamais. Tu peux pas me demander ça… C’est pas une question d’argent. »
Bruno, le regard direct et franc : « J’ai pas envie d’être ici. Tu sais ce que je pense de toi. Mais je le fais pour lui. Viens. Fais-moi pas te supplier. Je vais t’en devoir une… »
Bruno lui tendit quelques billets, de grosses coupures. Trois ou quatre. Son regard s’était attendri. Son inquiétude était palpable. Le silence devenait un vendeur à pression.
Julian : « Une heure. Pas plus. »
Bruno : « Oui. Juré. Pas plus. Je t’attends dans l’auto. »
Bruno était à la fois l’agent, le confident, le garde du corps et le chauffeur de Lou depuis ses débuts. Et probablement son plus fidèle ami, malgré leur hiérarchie. Trente ans de loyauté absolue. Lou était et avait toujours été son grand projet, son unique projet. Bruno tirait sa satisfaction de la longévité d’une carrière qu’il avait contribué à ériger lentement, un morceau à la fois, avant d’en vivre chaque instant de succès par procuration. Pour lui, Julian n’était qu’une distraction puérile qui s’était lentement métamorphosée en obsession. Lou avait le monde à ses pieds depuis tant d’années : neuf albums platine, six tournées mondiales, des stades remplis à capacité, de Buenos Aires à Sydney, des hymnes pop reconnus des babyboomers aux milléniums, plusieurs villas, une collection unique de Chassagne-Montrachet remarquée jadis par Wine Spectator, un réseau d’amis qui s’étendait de Wong Kar Wai à Brian Ferry… Comment pouvait-il désirer la seule personne avec qui les ponts semblaient définitivement brûlés ? C’est trop souvent le propre des gens qui ont tout, de penser mériter retrouver ce qu’ils ont déjà jeté, las de leur possession.
Le trajet fut court car Bruno conduisait trop vite. Il ventait beaucoup et faisait un temps maussade, où la bruine glaciale nous rappelle à quel point l’épiderme du front peut être engourdi par le froid. En arrivant, Julian se souvint trop bien de la dernière fois où il avait franchi les portes de cette vaste demeure victorienne, située en retrait, à deux cents mètres d’un large boulevard. Son corps en portait encore quelques stigmates. En entrant dans le grand living, où un splendide piano à queue Steinway & Sons rouge partageait la vedette avec un dripping monochromatique de Pollock et un croquis de Soutine — un nu — il était là, étendu sur un canapé en cuir blanc, habillé très partiellement d’un long peignoir en soie aux motifs asiatiques, qui laissait entrevoir ses testicules flasques. Lou était grand. Encore plus impressionnant en personne. Ceux qui ne l’avaient vu qu’à la télé croyaient qu’il mesurait moins de six pieds, alors qu’il dépassait en réalité les six pieds trois pouces. Il était très mince, ce qui amplifiait la longueur de sa silhouette, avec des cheveux blonds mi longs en vagues vers l’arrière, et le front légèrement dégarni sur les côtés. De dos, il ne faisait pas ses cinquante-six ans. De face, beaucoup plus. Sa maigreur était graduellement devenue un handicap qui amplifiait la visibilité de ses rides et l’effet d’usure de sa peau, causés par des années de décalage horaire, de maquillage, et par certains excès datant pour la plupart d’une époque où Nirvana décapait la planète à grandes doses de Lithium. Julian entra timidement dans la pièce, suivi de Bruno. Quand il réalisa sa présence, Lou se redressa tout d’un trait, comme pour retrouver sa dignité. En regardant Julian, il sourit avec ses grands yeux verts, ses lèvres fines demeurant figées et légèrement tremblotantes, vulnérable de dépendance.
Julian : « Qu’est-ce qui se passe ? Ça va pas ? »
Lou : « De la fatigue, trop de fatigue. La promotion du dernier album m’a vidé. C’était pas une bonne idée cet album. J’aurais dû attendre. Mais t’es là Julian ! As-tu faim ? Veux-tu boire quelque chose ? J’me suis tellement ennuyé… Serre-moi fort. J’ai besoin de te sentir. Viens t’asseoir près de moi. »
Julian disparut de manière familière dans la cuisine attenante, le temps de se servir un Campari-orange avec glaçons. Il emporta par la même occasion un petit sac de noix mélangées trouvé dans le garde-manger. Ensuite, il s’assit sur le canapé, près de son ancien amant, tout en conservant une certaine distance. Il avait un travail à faire pendant une heure. Il devait s’atteler à la tâche en demeurant crédible, et surtout, ne jamais quitter son personnage. À son rôle, il devait rester fidèle.
Lou, le timbre de voix très bas, honteux : « Je tiens à m’excuser. J’étais plus moi. Les images me tournent en tête depuis un mois et ça me tue. J’voulais pas te faire de mal. Pardonne-moi. J’ai vraiment perdu la tête... »
Julian, plus sincère qu’il ne le voudrait : « Je sais, je sais… Je t’en veux plus, mais j’peux pas oublier. Mais toi, tu peux pas rester comme ça. Même Bruno sait plus quoi faire pour te sortir de ta torpeur. Pourquoi tu vas pas passer quelques semaines à Bali ? La chaleur, la mer, t’as plein d’amis là-bas, non ? »
Lou, sur le bord des larmes : « Mais moi j’ai besoin de toi, ici, Julian. Tu penses peut-être que j’suis fou, mais j’suis juste fou de toi. J’te demanderai jamais d’être à moi, t’es trop beau et trop jeune pour ça, mais quand t’es là, comment j’peux te dire ça, c’est comme si tout se calme en moi. Tu vois ? Ça fait pas cinq minutes que t’es là et j’vais déjà mieux. Tiens-moi la main… »
Julian, se rapprochant et obtempérant : « Qu’est-ce qui s’est passé hier soir sur scène ? »
Lou : « Je t’ai fait suivre. J’aurais pas dû, je l’sais. Je voulais m’assurer que t’allais bien, que tu manquais de rien. Et quand j’ai su que t’étais encore monté au W avec cette vieille fripée, j’ai disjoncté. J’étais rendu sur scène, mais ma tête était ailleurs. Si j’pouvais juste refaire le passé… C’était les médicaments, en fait le mélange avec l’alcool. J’en ai la certitude maintenant. Tu m’disais d’arrêter mais je t’entendais pas. J’étais comme possédé. Tu l’sais Juju que j’suis pas comme ça, hein ? Dis-moi que tu l’sais… »
Julian acquiesça. Ils discutèrent encore quelques minutes, montèrent ensuite à la chambre des maîtres et firent l’amour doucement, presque trop tendrement, en cuillère. Lou sanglotait. Il réalisait que ce qui avait été brisé entre eux ne pouvait être rapiécé. La suite post-orgasmique fut brève : Julian le regarda directement dans les yeux, sans agressivité, et lui dit qu’il ne devait plus être harcelé ou suivi. Il lui affirma ensuite que c’était terminé. Que les événements n’avaient qu’accéléré ce qui devait se produire de toute façon. Qu’il devait voler de ses propres ailes. Qu’il voulait exprimer son talent sans en être redevable à quiconque. Qu’il avait confondu son admiration avec d’autres émotions. Lou pleurait malgré lui en tentant de conserver une certaine contenance. Ses lèvres souriaient pendant que ses yeux transpiraient une élégie tragique. Julian le consola du mieux qu’il put, tout en lui faisant promettre de ne plus entrer en contact avec lui. Il lui mentit en lui disant qu’il conserverait toujours un doux souvenir de lui. En fait, ce qu’il ressentait vraiment ressemblait plus à de la pitié. Lou lui répondit qu’il serait toujours là. Julian, lui, savait qu’il ne reviendrait à cet endroit qu’en cas d’extrême nécessité.
Six semaines passèrent. Il revit Debby quelques fois, toujours au W. Les arbres, nus, tremblaient désormais, tandis que la lumière se faisait de plus en plus timide. Il végétait comme un ado, alternant le binge watching de séries sur Netflix et la masturbation assistée par ordinateur. Parfois, entre deux épisodes, il sortait quelques minutes pour aller à la petite épicerie indienne du coin, ou encore pour boire, seul, une pinte de Boddingtons au Village, un pub situé à quelques pas de chez lui. Il n’avait aucun projet en vue. Sa léthargie l’éloignait graduellement des quelques amitiés qui avaient survécu à ses périodes de tumulte répétées. Il se couchait tard et se levait tard, quand il se levait. Il confondait même parfois le soir et le matin. Mais un mardi, peu avant minuit, en fumant un joint sur le bord d’une fenêtre tout en écoutant une chanson mélancolique de Cat Power — Where is My Love — il ressentit une profonde excitation s’emparer de tout son corps. L’épisode débuta par un léger picotement dans la paume des mains, puis par un désir de courir, de respirer profondément ; il avait l’impression étrange qu’il s’envolait dans la pièce, qu’il était détaché de son corps. Il croyait réellement surplomber son loft à l’horizontale, de manière intuitive. Il sut très clairement, à ce moment précis, avant de retrouver son enveloppe corporelle et de retomber sur son lit, pourquoi il n’avait jamais réussit à aimer personne. Épiphanie ou effet psychotrope ? Probablement les deux. Mais ce qui était clair, c’était que Julian possédait tous les talents. La musique. Les arts. La logique. Son physique était plus que favorable, il avait du bagou ; mais, comme des milliers de jeunes de sa génération, la coquille et les aptitudes ne pouvaient compenser un vide apparent : il n’avait absolument rien à raconter. Et là, probablement à cause du cannabis, il avait ressenti émerger une ébauche de sa propre substance. Une grande porte s’était soudainement entrouverte. Mais aurait-il seulement la force d’en franchir le seuil ?
Six semaines passèrent. Il revit Debby quelques fois, toujours au W. Les arbres, nus, tremblaient désormais, tandis que la lumière se faisait de plus en plus timide. Il végétait comme un ado, alternant le binge watching de séries sur Netflix et la masturbation assistée par ordinateur. Parfois, entre deux épisodes, il sortait quelques minutes pour aller à la petite épicerie indienne du coin, ou encore pour boire, seul, une pinte de Boddingtons au Village, un pub situé à quelques pas de chez lui. Il n’avait aucun projet en vue. Sa léthargie l’éloignait graduellement des quelques amitiés qui avaient survécu à ses périodes de tumulte répétées. Il se couchait tard et se levait tard, quand il se levait. Il confondait même parfois le soir et le matin. Mais un mardi, peu avant minuit, en fumant un joint sur le bord d’une fenêtre tout en écoutant une chanson mélancolique de Cat Power — Where is My Love — il ressentit une profonde excitation s’emparer de tout son corps. L’épisode débuta par un léger picotement dans la paume des mains, puis par un désir de courir, de respirer profondément ; il avait l’impression étrange qu’il s’envolait dans la pièce, qu’il était détaché de son corps. Il croyait réellement surplomber son loft à l’horizontale, de manière intuitive. Il sut très clairement, à ce moment précis, avant de retrouver son enveloppe corporelle et de retomber sur son lit, pourquoi il n’avait jamais réussit à aimer personne. Épiphanie ou effet psychotrope ? Probablement les deux. Mais ce qui était clair, c’était que Julian possédait tous les talents. La musique. Les arts. La logique. Son physique était plus que favorable, il avait du bagou ; mais, comme des milliers de jeunes de sa génération, la coquille et les aptitudes ne pouvaient compenser un vide apparent : il n’avait absolument rien à raconter. Et là, probablement à cause du cannabis, il avait ressenti émerger une ébauche de sa propre substance. Une grande porte s’était soudainement entrouverte. Mais aurait-il seulement la force d’en franchir le seuil ?
Chapitre 3
Eva
Eva
D’immenses flocons légers comme l’air dansaient en se frôlant, comme s’ils flirtaient avant de mourir, désintégrés, sur l’asphalte. La magie de Noël, ou plutôt son immense lot de souffrances par association, était déjà passée. Le Nouvel An approchait, avec sa part d’incertitude : Poutine avait déployé des troupes à la frontière finlandaise, en réponse à une résolution de l’ONU qui condamnait le rôle de la Russie dans la fomentation du conflit ukrainien, s’attirant ainsi les foudres de la communauté internationale. Les tensions étaient vives. Bluff ou manœuvre stratégique ? Personne ne le savait vraiment. Mais il en résultait un relent de guerre froide, une impression floue mais omniprésente de fin du monde en gestation, qui affligeait les uns et excitait les autres. Julian, entièrement nu sous des draps sales, ses écouteurs sur les oreilles, écoutait pour une centième fois le Lacrimosa du Requiem de Mozart, version Karajan un peu lente, l’esprit oscillant entre le passé et le présent. L’exaltation qui avait suivi son épisode métaphysique s’était rapidement métamorphosée en dépression. Cela faisait maintenant dix-huit jours qu’il n’avait parlé à personne. Il ne retournait plus les appels de Debby. N’avait plus d’énergie. Peinait à se nourrir. Où étaient ses amis ?
À ne plus répondre à leurs invitations, à ignorer ceux qui espéraient sa présence, il avait visiblement réussi à consumer tout le capital de sympathie de son entourage. Le réservoir semblait vide. Le trou noir progressait, inéluctablement, à défaut de lumière. Mais à travers cette tempête de tristesse, il réalisait quand même, au fond, pourquoi il en était arrivé là, mais demeurait confus sur la suite des choses, pris dans un vortex spatio-temporel intérieur duquel il ne savait s’extirper. Il était amaigri, mais sobre. Sa lucidité le tenait en vie. Il s’étiolait.
Eva était trop belle pour son propre bien. Un visage trop symétrique, des lèvres un peu trop pulpeuses et un sourire franchement trop parfait. Elle était trop grande, trop élancée ; les proportions appelant trop au sexe, avec des jupes parfois trop courtes. Elle était trop. Malheureusement pour elle, son apparence faisait souvent écran au reste. Elle n’était pas bête. Loin de là. Elle incarnait même ce genre de fille qui pouvait vous tailler en petites pièces sans même élever d’un ton sa voix riche en graves. Eva avait connu Julian à l’université lors de leur bac en socio, et ils étaient devenus de bons amis, en fait non, plutôt de bons alliés. Lui, le métrosexuel acidulé, et elle, l’égérie qui sent sucré : celle que les hommes n’oseront jamais aborder de peur d’être recalés. Mais fait étonnant, malgré une intelligence vive et un intérêt certain pour les sciences sociales, elle n’avait jamais réussi à compléter sa trajectoire académique. Était-ce dû à sa passion dévorante pour la mode, ou encore à son attirance pour les soirées arrosées dans les restos les plus prestigieux ? À sa défense, Eva n’avait pas les parents pourvoyeurs de ses amies, alors elle devait travailler pour se payer ses luxes compulsifs. Et quand elle achetait, sur un coup de tête, une robe Balenciaga asymétrique, ses études en prenaient un grand coup. Contrairement à Julian, jamais elle n’avait ne serait-ce qu’envisagé de colmater les brèches de son budget avec une relation axée sur l’intérêt. Elle était une fille atypique. Sa psyché semblait en dichotomie totale avec les stéréotypes que son apparence dictait aux hommes comme aux femmes, bien malgré elle. Elle était prise à son propre piège, et à celui de son intégrité, immuable. Son affection pour Julian avait toujours été endiguée par son incapacité à décoder la réciproque. Dans le doute, elle s’était abstenue. Amis ils étaient devenus.
Eva n’avait pas contacté Julian depuis sept ou huit mois, trop concentrée sur son nouveau poste d’organisatrice d’événements au sein d’une firme bien établie dans plusieurs capitales européennes. Elle était bien rémunérée, enfin. Elle voyageait et côtoyait un certain gratin, sans toutefois jouer à l’imposteur. Elle était de retour au bercail en cette fin d’année, chargée d’organiser la plus opulente fête du Nouvel An qui soit, au chic Ballroom Circus, une salle de quatre cents places fréquentée par la bourgeoisie depuis des siècles. Le promoteur, un milliardaire excentrique ayant fait fortune au Japon avec la commercialisation d’un condom robotisé dont le mouvement circulaire, breveté, avait été qualifié de miraculeux, n’avait pas lésiné sur les moyens. On ne parlait pas ici de mousseux bon marché servi dans de vulgaires verres en plastique, juste avant minuit, à des jeunes déjà saouls et étourdis par les rythmes abrutissants d’un DJ aux cheveux peroxydés n’ayant jamais vraiment réalisé que la belle époque d’Ibiza était terminée depuis plus de deux décennies. Non. Eva avait plutôt planifié une orgie au sens le plus strict. Une expérience absolue. Une sorte d’apologie de tous les excès, amalgamant couleurs, textures, nourriture, boissons, arts, musique et plaisirs sexuels. À trente mille dollars le billet, des invitations avaient été disséminées dans le monde entier dans le plus grand secret, des mois auparavant, à près de 500 personnes triées sur le volet : gens d’affaires à succès, artistes de réputation internationale, ambassadeurs de grandes familles, décideurs, politiques et dignitaires. C’était la troisième édition de cette fête occulte, dont personne ne connaissait l’existence à l’extérieur des cercles d’initiés. Les invités se voyaient conviés à un lieu de rassemblement secret, à partir duquel ils étaient transportés, par petits groupes, vers le lieu officiel qui, au regard des passants, semblait fermé pour la soirée. Le pacte de confidentialité était absolu, tant de la part des organisateurs que des participants. Ici, aucun besoin de jouer le jeu du bal masqué. Tous acceptaient le code. Et la devise était simple : « LE PLAISIR N’A PAS DE NOM. VOUS N’ÊTES ICI PERSONNE. ENSEMBLE NOUS SOMMES LE PLAISIR. »
Le 28 décembre au matin, Eva se leva tôt, car une immense journée l’attendait. Par habitude, en ouvrant l’oeil, elle allongea son bras et prit son téléphone pour vérifier ses courriels et textos. Fait inhabituel, elle avait deux messages sur sa boîte vocale, les deux du même numéro. Elle connaissait trop bien ce numéro, celui de l’agente de Kanye West à Los Angeles. Le premier message était vide. Le deuxième contenait ce qu’elle redoutait : « Kanye est désolé. Il a décidé d’enregistrer un album avec Paul McCartney le mois dernier et les séances de production prennent plus de temps que prévu. Il passe toutes ses journées et ses nuits en studio à peaufiner le tout. Il a décidé d’annuler tous ses engagements jusqu’à la mi-février. Nous sommes vraiment désolés. » Le mégalo du hip-hop devait exécuter une prestation spontanée de son succès Jesus Walks, entouré de ballerines ailées, à 22H45 précises. Inutile de dire qu’Eva était furax, mais à trois jours d’avis, elle devait absolument trouver une solution. Et vite. Blanca Li avait fait des merveilles à la chorégraphie, les danseuses répétaient depuis plusieurs jours, il devait bien y avoir une issue ? Comment récupérer, même partiellement, ce qui avait déjà été préparé ? Elle ne pouvait espérer qu’une célébrité accepte de remplacer West au pied levé, à moins de 72 heures d’avis. Le soir du Nouvel An de surcroît. Impossible. Elle avait récemment été confrontée à des situations difficiles, l’organisation d’événements comportant son lot d’incertitudes, mais jamais n’avait-elle été happée de manière si frontale par une situation insoluble à première vue. Sueurs froides. Café. Sueurs froides. Idée ! Elle se souvint subitement d’un clip Web de Julian, dans lequel il avait remodelé un succès de Kendrick Lamar, à partir de son propre studio. Il avait obtenu quelques centaines de milliers de vues dans les jours qui avaient suivi sa diffusion. Sa refonte, plus mélodique et lumineuse, apportait un éclairage nouveau. Pourrait-il reproduire cette énergie et sauver le numéro ? Julian était grand, son regard perçant, sa voix douce et riche, mais avait-il le charisme pour envouter ce type de public ? La meilleure manière de le savoir était de tenter le coup rapidement, en répétition, en compagnie de la chorégraphe. Mais encore fallait-il le convaincre. Était-il en ville ? Que devenait-il ? Eva n’en savait rien, mais espérait. Et c’était suffisant pour la projeter dans l’action. Elle n’avait pas le temps d’attendre un retour d’appel ou une réponse à un courriel. Elle prit du coup un taxi pour se rendre directement au loft de son ami, ne soupçonnant rien de sa condition. Trente, ou trente-cinq minutes tout au plus, la séparaient de son ancien complice, devenu soudainement son sauveur potentiel. Fait rare, elle déguerpit en oubliant de se maquiller.
La porte extérieure de l’immeuble était déverrouillée comme à l’habitude. Elle craignait de demeurer coincée dans le monte-charge — ça lui était déjà arrivé deux ans plus tôt — alors elle se résolut à emprunter l’escalier. Il faisait froid et humide. L’ascension sembla durer une éternité. Il ouvrit assez rapidement. Elle fut totalement sidérée par son état : à la fois peinée, inquiète et en colère de ne pas avoir été plus présente pour lui dans les mois précédents. Ils avaient toujours été directs et volontairement décalés dans leurs échanges, c’était leur modus vivendi à eux, toujours à deux degrés de distance, mais très près du cœur. Ils se firent la bise rapidement. Elle pénétra dans son halo nauséabond…
Julian, nonchalant et insensible, marchant mécaniquement vers son canapé: « Salut. Qu’est-ce que tu fais ici ? T’as pas le mariage d’un prince saoudien à organiser ? »
Eva, s’appropriant les lieux, en mouvement : « Ça pue ici. Faudrait aérer… »
Julian, contournant la question : « Veux-tu un thé ? »
Eva, l’observant de haut en bas : « Non, ça va, merci. Mais t’es dont maigre ? T’es pire qu’un top-modèle de Lagerfeld… »
Julian : « Merci beaucoup de demander, ça va super bien, jamais été mieux. Câlisse, j’suis un ostie de rayon de soleil. Sérieusement. Qu’est-ce que tu fais ici ? »
Eva, sortant de son personnage : « Là je suis plus sûre de savoir ce que je veux. Ça me fait de la peine de te voir comme ça. Pourquoi t’as pas donné signe de vie ? J’étais tellement prise dans mes affaires, avoir su… »
Julian, craquant subitement, sur le bord des larmes : « J’me sens perdu. C’est comme si je tombais dans l’vide sans jamais atterrir. J’ai honte. J’en ai mon truck. »
Eva : « Veux-tu venir avec moi ? On va prendre l’air et aller manger une bouchée. On va jaser. J’suis libre pour une heure ou deux. Va t’habiller. Ça va te faire du bien. J’vais ramasser un peu en t’attendant. On sortira les ordures en descendant. »
Julian obéit sans discuter. Il n’avait pas la force de dire non et n’avait rien à perdre. Mais surtout, malgré toute la tristesse accumulée dans le bas de son ventre vide, il était heureux de revoir Eva.
Ils marchèrent une dizaine de minutes sans parler, sur une fine couche de neige fraîche, jusqu’au café où ils avaient autrefois l’habitude de se rendre après les cours, en fin d’après-midi. Rendus sur place, ils commandèrent rapidement. Lui, une assiette de déjeuner et un café filtre. Elle, son rituel bol de fromage cottage avec fruits frais, qu’il avait l’habitude de qualifier sadiquement de « vaginite » pour la dégoûter. Ils discutèrent de tout et de rien, puis des derniers temps, plus en détail. Julian s’ouvrit un peu, mais pas trop, pour ne pas s’exposer au jugement de son amie. Plus leurs échanges évoluaient, plus il retrouvait son aplomb. Leur lien le ramenait dans une zone rassurante, familière.
Eva : « T’es rendu à combien de vues pour ta reprise de Swimming Pool ? »
Julian : « Près de 500 000… Ça va me rapporter un gros 12 $. »
Eva : « Pourrais-tu la refaire ? J’veux dire… La reprendre live ? »
Julian : « J’sais pas. Peut-être. Mais j’ai pas le goût… »
Eva : « Et si ça pouvait te rapporter assez pour te redonner le goût de faire de la musique ? »
Julian : « Ça en prendrait beaucoup. Mais pourquoi tu me demandes ça ? Arrête de tourner autour du pot… »
Eva : « Je. Suis. Dans. La. Merde. Je pilote un événement VVVIP pour le Nouvel An. Genre le bal dans Eyes Wide Shut, mais sans masques, et avec un tas de vedettes et du Cristal en magnum. Un truc secret. Et Kanye West m’a fait dans les mains à trois jours de l’événement. J’te niaise pas. Kanye. En plus, on a Blanca Li qui a peaufiné une chorégraphie mongole avec des filles et des costumes et tout. Avec l’intro, ça dure moins de 15 minutes. Une version longue de Jesus Walks… On pourrait sûrement transposer le tout sur ta version de Swimming Pool… Non ? »
Julian : « T’es pas sérieuse là. Tu m’niaises, c’est ça ? »
Eva, charmeuse : « Je sais que tu serais capable. T’as qu’à faire ton Chris Martin qui rappe. La crowd est mature. Ils vont adorer. La sono va être géniale. Ça te tenterait pas d’essayer ? Juste une fois en répétition. On demande aux musiciens de te la faire et tu t’essaies avec les filles. C’est au Ballroom Circus. » Et à ce moment précis, elle le regarda le plus solennellement du monde, directement dans les yeux, pour marquer l’importance du moment : « Si ça fonctionne, je te paie 25 000 $ comptant en avance. Je suis très sérieuse. Mais faut décider vite. On doit tout virer à l’envers. »
Julian : « Si moi j’ai l’air d’un top-modèle de Lagerfeld, toi t’as l’air d’une morte. 25 000 $ ? Vraiment ? »
Les trois jours qui suivirent passèrent en quelques instants. Tests sur place avec les musiciens et danseuses, répétitions incessantes, séance d’essayage avec une styliste… Eva ne le ménageait pas et il appréciait son honnêteté. L’échéance approchait à une vitesse folle. Saurait-il assurer devant 400 personnes, dans ce type d’environnement ? À vrai dire, il ne se permettait même pas d’y penser, comme si tout ça n’était qu’un rêve scénarisé, entre deux spasmes existentiels insupportables. Il s’extirpait néanmoins très lentement, malgré lui, de son vortex de dépression, pour en être avalé par un autre, plus puissant et grisant, nommé Eva. Il renouait avec son essence en sa présence. Plus encore, il ne se sentait plus seul et avait retrouvé l’appétit. Il ignorait par contre qu’il ne retrouverait plus jamais cette solitude et ce vide. Qu’il en serait même nostalgique un jour. Mais pour l’instant, sous la douche, il demeurait concentré à déclamer la fin du refrain avec la bonne intention, pour une centième fois :
…I wave a few bottles, then I watch 'em all flock
All the girls wanna play Baywatch
I got a swimming pool full of liquor and they dive in it
Pool full of liquor, I'mma dive in it
Chapitre 4
Bruno
Sueur abondante. Tremblements. Sentiment de mort imminente. Difficulté à retrouver son souffle. Oppression dans la poitrine. Mal de tête. Nausées répétitives. Il était 22h34 et l’état de Julian, reclus avec les danseuses à l’arrière-scène du Ballroom Circus, tranchait clairement avec l’insouciance des milliardaires et des vedettes, qui s’échangeaient regards et répliques superficielles, entre deux gorgées d’un Romanée-Conti ou d’un cocktail du mixologue Manuel Wouters. Il se sentait néanmoins vivre, malgré tout, en dépit de l’anxiété extrême d’un trac devenu paralysant. Il était 22h45 quand Eva leur donna le signe. Le noir était complet, à l’exception d’un faisceau de lampe de poche qui guidait le groupe vers une porte qui donnait sur une échelle qu’ils devaient tous gravir pour joindre une plateforme circulaire entourée d’un épais rideau de scène. Il était accroupi au centre sur une micro-plateforme, les danseuses qui l’entouraient demeurant légèrement plus bas. Lorsque les rideaux, tirés vers le haut en deux dixièmes de seconde, le laissèrent exposé à la vue de tous, il se redressa sans réfléchir, le poing dans les airs. La musique débuta, organique, alliage d’échantillonnages et d’instruments interprétés par des musiciens cachés dans une fosse à l’avant-scène. La basse et le rythme faisaient littéralement vibrer le sol. La plate-forme sur laquelle il se tenait tournait lentement. Il commençait à déclamer les paroles à la manière d’un slammeur qui savait véritablement chanter, en allongeant les notes sans fausser. Les prochaines minutes passeraient en quelques instants furtifs. Il était en transe.
Le numéro, originalement prévu dans un registre opulent, dégageait une vulnérabilité irrésistible. Julian suintait le talent : il était juste, mélodique, dans le rythme, tout en retenue… Mais c’est son regard sombre et mélancolique qui charmait vraiment le public. Il tenait une Fender Stratocaster noire, portait un veston de tuxedo noir, des designer jeans sombres et des Converse Varvatos. Son torse était entièrement nu sous son veston. Élégance nonchalante, dégaine naturelle, bref, rien ne semblait faux dans ce qu’il dégageait. Après un peu plus de dix minutes, les rideaux retombèrent autour de lui, les danseuses demeurant éparpillées dans la salle en guise de transition vers le prochain numéro. Il ne pu réagir à l’ovation spontanée qui résonna dans la salle à peine une seconde après sa dernière note de guitare. Une ovation d’autant plus surprenante qu’elle émanait d’une foule relativement éteinte et blasée, qui n’avait pas encore réagit de toute la soirée.
Les 25 000 $ gagnés en quelques minutes ne représentaient rien, comparés à l’exposition qu’il avait obtenu auprès des plus riches et influentes personnalités de la planète, qu’il pourrait ensuite côtoyer jusqu’aux aurores. En s’approchant lentement de l’un des nombreux bars, Julian savourait chaque seconde de son premier accomplissement depuis des lustres, en plus de ressentir une sécurité financière qu’il n’avait jamais ressentie de toute sa vie adulte. Eva vint le retrouver après quelques minutes et son sourire trahissait sa fierté. Elle l’embrassa spontanément sur la bouche avec ses lèvres peintes d’un rouge Guerlain irrésistible, laissant une marque évidente. Elle devait retourner à ses tâches, mais promit à Julian de le rejoindre pour les douze coups de minuit. Il était seul, savourant le moment, grisé par les endorphines. On jouait maintenant du Oasis avant la prochaine prestation. Supersonic. Alors il se commanda un Gin Tonic et fixa les cuisses d’une danseuse qui se trouvait à quelques mètres de lui, en se demandant à quel point il la voulait. Elle lui rendit son sourire et s’approcha lentement, lascivement. Rendus à quelques pas l’un de l’autre, la tension des regards se fit interrompre par l’arrivée impromptue de la dernière personne de qui Julian s’attendait à recevoir des éloges.
Il était en état d’ébriété relative, pas au point de débiter des âneries, mais disons à l’étape du « sourire ». Bruno n’était pas avec Lou, qui avait préféré rester à Bali pour les Fêtes, entiché cul par dessus tête d’un jeune mannequin séoulite. Il prit donc Julian par surprise, de dos, en plaçant sa main sur son épaule, à la manière d’un vieux pote :
Bruno : « Bien fait le jeune. T’es pas juste bon pour te pencher finalement. Je suis surpris. Jamais j’aurais cru que t’avais ce talent. Lou m’en avait parlé souvent, mais Lou voit jamais clair quand il parle de ses amants… »
Julian : « Merci mais va chier Bruno. Chien-chien n’est pas avec son maître ? Va mordre quelqu’un d’autre. »
Bruno : « Calme-toi. J’suis sérieux. T’étais solide, élégant, touchant même. Moi j’ai toujours fait que mon travail, du mieux que j’pouvais. Lou n’aura jamais connu personne de plus fidèle que moi. Personne. »
Julian : « Pourquoi tu parles au passé ? T’es son bras droit, non ? »
Bruno : « Non. Plus maintenant. Des décennies données à ce con. J’ai su dès le début qu’il était narcissique. Tous les artistes le sont. Des connards de narcissiques finis. Mais lui, j’croyais en lui, il avait quelque chose de spécial. J’ai tout abandonné pour lui : ma jeunesse, mes espoirs de famille… Mais bon, inutile de revenir là-dessus. C’est terminé. TER-MI-NÉ. Qu’il s’arrange. J’voulais pas t’emmerder. Je pensais vraiment ce que je t’ai dit. J’te laisse là-dessus, bonne chance, désolé… »
Julian : « J’sais bien que tu faisais ce que t’avais à faire. Mais t’as pas idée à quel point j’me suis senti comme un déchet avec Lou. Toi tu savais tout. Même la première fois. J’avais pas 17 ans. Tu savais à quel point il jouait avec moi quand ça lui tentait. Et quand j’ai viré tout ça à mon avantage, là, t’es monté aux barricades. C’était pas correct. Mais fuck, c’est le passé, et là on va célébrer la nouvelle année sous peu. Alors fuck encore. Fuck le passé. Fuck Lou. Santé Bruno ! »
Bruno, heurtant le verre de Julian avec son Laphroag : « Santé ! T’es un gars correct toi. Si t’as besoin d’aide pour ta carrière, fais-moi signe. Ça va jamais te redonner ce que t’as perdu, mais ce sera ça. J’suis sérieux. Prend ma carte. Appelle-moi la semaine prochaine. Fais-le. »
Bruno retourna à un son groupe d’amis, essentiellement des bonzes de grandes compagnies de disque et quelques vedettes, laissant Julian songeur. Euphorique, il retrouva la danseuse quelques minutes plus tard, dragua avec elle et la pénétra assez sèchement, par derrière, dans un cabinet de toilette. Il n’appréciait pas particulièrement cette position, mais c’était plus commode ainsi. Le condom enlevé et l’appendice encore un peu gluant, il se dirigea ensuite vers le bar. Minuit approchait, dans une ambiance aussi évanescente qu’ambivalente. Eva réapparu tel que promis, soulagée. Tout se déroulait comme prévu. L’explosion du grand moment, qui surviendrait dans quelques instants, avait été rodée au quart de tour : des ballons qui exploseraient, dispersant des tonnes de particules qui viendraient, à la manière d’étoiles spontanées, teinter d’un bleu alimentaire le champagne dans les centaines de coupe Riedel dressées au bout des bras de convives en osmose, puis éclairage en contre-plongé, et, finalement, apparition de U2 sur la chanson Pride (in The Name of Love).
Des sheiks enfilaient, en groupe, dans un salon privé, des escortes à 10 000 $ l’heure, la plupart blondes, grandes et trop maigres. Quatre ou cinq femmes, membres d’une association de power-lesbiennes du milieu des finances, profitaient de cunnilingus prodigués par des geishas au teint laiteux et aux lèvres presque noires, étendues sur des canapés légèrement en retrait. D’autres financiers et bourgeois notoires s’adonnaient au poker, jouant futilement des sommes qui ruineraient pour un siècle le commun des mortels. Étaient servis, en continus : huîtres de Kumamoto sur glace, queues de homard et verrines de boeuf de Kobe sur lit d’algue, entre autres choses. Alors que plusieurs personnes se mêlaient au groupe et échangeaient avec des inconnus, d’autres demeuraient opaques, en cercles très fermés. À la fin du décompte, pendant qu’étaient projetées partout dans la salle des photos de moments marquants de l’année qui se terminait, Eva serra Julian très fort dans ses bras, presque trop fort, son menton s’imbriquant dans le cou de son ami. Elle ne le relâcha que pour l’embrasser tendrement, puis passionnément, lors du grand moment. Ils s’embrassèrent en tournant pour s’étourdir, la pluie d’étoiles bleutées rendant magiques un refrain qui liait toutes les sauces, toutes cultures unies : In the name of love, what more in the name of love, in the name of love, what more in the name of love. Ce moment aurait pu être fleur bleue mais, étrangement, il ne l’était pas. Cette nuit ne se termina jamais. Enfin si, mais le tourbillon qui l’accompagnait, non.
Chapitre 5
Arnaud
Chapitre 5
Arnaud
Ça faisait déjà quatre mois que Julian sillonnait le pays en entier. Sa prestation du Nouvel An avait été filmée en 4K et diffusée sur Vimeo, créant une déferlante. Aidé par Bruno au management et à la direction artistique par Eva, il avait initialement conquis des établissements marginaux en mixant son rôle de DJ à ses interprétations vocales live. Mais, rapidement, à l’image de cette époque où l’on s’emballe et se lasse en un clin d’oeil, il avait pris d’assaut des salles de plus en plus importantes, chaque soirée alimentant la rumeur et amplifiant la demande pour celle qui suivrait. En parallèle, il peaufinait un premier EP de quelques reprises et morceaux originaux qu’il planifiait lancer lors de la grande rentrée automnale. Les astres étaient alignés : il était aimé, désiré, de plus en plus reconnu et relativement libre artistiquement. Et surtout, il n’avait plus à penser à l’argent.
Autre fait peu anodin, il était follement amoureux d’une fille, et de son rouge Guerlain, nommée Eva. D’une passion absolument naïve, juvénile, osmotique, qui révélait sa virginité absolue en matière d’émotions amoureuses. Celle d’un enfant endurci par le froid, par l’abandon, un enfant pris dans un corps d’homme, endeuillé dès la naissance du concept même de douceur. Une âme écorchée, qui avait été trop subitement exposée à la tendresse en se faisant enfin flatter les cheveux et dire « je t’aime ». Il était constamment vulnérable à la douleur du manque, de cette lueur découverte dans les pupilles d’une fille. Sa passion l’amputait autant qu’elle l’emplissait. Et lorsqu’il se sentait amputé, Julian devenait fou. Littéralement. Il perdait tout sens concret de la réalité. Paranoïa, fabulations, agressivité. Il se sentait abandonné sur le bord d’un précipice de 10 kilomètres de profondeur, tenu par un pied dans le vide. Et la personne qui le tenait, c’était Eva. Car au-delà de leur relation à distance, aussi sporadique dans le réel qu’un éclair dans le ciel, Eva était fiancée à un prospère financier français et se trimballait entre Paris et le reste du monde. Parfois, elle se pointait à l’improviste et faisait tourner le coeur de son chanteur, dans tous les sens.
Leur relation s’était cristallisée dans les jours qui avaient suivi la nuit du Nouvel An. Ils avaient fait l’amour de manière brouillonne chez lui, ivres, à l’aube, se déballant littéralement comme des cadeaux. Mais jamais leur fusion ne fut aussi totale qu’à leur réveil. Ils étaient l’un pour l’autre une sorte de privilège qu’ils ne croyaient pas mériter. Lui n’avait jamais osé fantasmé, même dans ses rêveries sexuelles le plus secrètes, de se retrouver dans la même intimité qu’Eva, une déesse vouée à d’autres cieux infiniment plus élevés que les siens. Elle, pour sa part, n’avait jamais imaginé tomber en amour avec cet artiste torturé, qu’elle considérait il n’y a pas si longtemps presque que comme son frère. Leur relation était particulière : à la fois dépouillées de mots, mais totalement inondée de gestes. Leur attirance et leur affection mutuelle se mutaient en un étrange cocktail digne d’une scène de Mulholland Drive. Était-ce parce que leur relation était interdite ? Était-ce parce qu’il vouait un fétiche maladif à comment elle appliquait son rouge à lèvres ou mettait ses jambes en valeur lors d’événements culturels ? Il en émanait néanmoins des torrents d’orgasmes et une sincérité totale. Mais lorsqu’elle devait partir, et elle partait plus souvent qu’elle ne restait, ils devaient tous les deux vivre un deuil qui les mettait en pièces, particulièrement lui, qui savait trop bien qu’Eva n’oserait jamais rompre avec Arnaud. Sa peur du vide était ancrée trop profondément en elle.
La veille d’une série de spectacles au Band on The Wall de Manchester, il pensa tout abandonner pour aller rejoindre sa muse à Paris. Il désirait profondément brasser toutes les cartes et espérait qu’une combinaison gagnante émerge du cahot, révélée par l’intensité de ses sentiments. Mais il savait aussi qu’il risquait de tout perdre. La simple pensée d’être définitivement coupé d’Eva suffisait à lui faire renoncer à toute action impulsive. Il continuait donc son chemin, frustré, incapable de la voir, de la toucher, pris à fantasmer à une vie qui lui était impossible. Ce soir-là, sa suite était luxueuse, à des lustres de son loft. Il végétait en regardant une émule d’Adele s’époumoner à Britain’s got talent. L’écran était immense et le lit confortable, avec sa panoplie d’oreillers. Il s’endormit aigri, mais pas tout à fait malheureux.
Le lendemain, il retourna à son tourbillon habituel : rencontre avec l’équipe, répétitions, tests de son, puis souper avec sa bande où seules l’eau et les boissons gazeuses étaient permises. Julian, malgré un passif lourd en termes de psychotropes et d’alcools en tous genres, exigeait une sobriété absolue de tous avant les spectacles, lui au premier chef. Son lien avec le public était sans tache et il voulait le préserver à tout prix. Il donnait tout ce qu’il avait et recevait en retour un amour qu’il n’avait jamais pensé possible. C’est d’ailleurs cette réciprocité avec ses fans qui lui permettait de vivre sans Eva. À la suite de ce spectacle, où il avait exceptionnellement repris à sa sauce la merveilleuse Still Ill des Smiths, l’équipe se retrouva dans un pub et engloutit une quantité impressionnante de bière, en se remémorant les moments forts de la soirée et en émettant des commentaires et échanges dans le but d’améliorer le spectacle. Quelques groupies les avaient suivis et attendaient le bon moment pour les draguer. Julian était épuisé, mais satisfait de son groupe. Il sentait une véritable complicité. Le désir de se perfectionner était partagé de tous et aucun égo ne minait l’ambiance de collégialité. Il appréciait être au centre de tout ça. Vers minuit, il reçut un texto du numéro de portable d’Eva : « Appelle-moi quand tu peux, je dois te parler, c’est assez urgent ». Il quitta sur-le-champ pour retourner à son hôtel, anxieux, sans lui répondre.
Arrivé à sa chambre, il enleva ses chaussures et s’étendit sur son lit king aux draps propres. Il prit ensuite une grande respiration et composa les numéros du portable d’Eva. Décalage horaire oblige, il était près de 2h dans la nuit pour elle. Pourquoi ne dormait-elle pas ? Pourquoi cette urgence ? Après deux coups de sonnerie, elle répondit. Ça faisait presque deux semaines qu’il n’avait pas entendu le son de sa voix.
Eva, essoufflée : « Salut. Merci de m’rappeler. J’me demandais si t’avais lu mon texto… »
Julian : « Allo beauté. Qu’est-ce qui se passe ? T’es toujours à Paris ? T’as l’air essoufflée, ça va ? »
Eva : « Oui, je suis à la maison. Écoute Julian, je sais pas comment te dire ça. Je suis essoufflée parce que je suis nerveuse… »
Julian : « Parle-moi, mon coeur va arrêter de battre. »
Eva : « Arnaud a noté le mot de passe de mon téléphone et a lu tous nos textos. Il avait des doutes. Il sait tout. J’ai tout avoué. »
Julian : « Et puis maintenant ? Qu’est-ce que tu vas faire ? »
Eva : « Il a quitté pour Genève pour quelques jours, c’était prévu. Il m’a donné un ultimatum. J’arrête tout d’ici son retour ou il me met dehors. Notre union est claire, j’ai aucun recours, soit je reste et j’te laisse, soit j’perds tout. Et il exige d’avoir accès en tout temps à mes comptes courriel et à mon portable. J’sais plus quoi faire. J’en tremble. »
Julian : « Prends l’avion demain matin et viens me rejoindre à Manchester. J’fais assez pour que nous soyons corrects. Avec toi je vais être encore meilleur. Tu pourras te consacrer à mon lancement pour cet automne. Viens ! »
Eva : « J’peux pas Julian. C’est pas si simple. Je lui dois tout. Arnaud m’a mise au monde, littéralement. Tous mes contacts, mon réseau, c’est lui. Ta carrière, c’est un peu lui. J’peux pas. Je t’aime, mais je ne peux pas le laisser. C’est pas juste l’argent. Je suis attachée à lui. Pas comme à toi. Rien ne se compare à nous. Mais je crois que nous devons rompre. J’veux rompre. Voilà. C’est dit. Julian, nous deux, c’est fini. »
SILENCE
Julian : « Tu peux pas. Fais pas ça… »
Eva, en sanglots : « J’ai parlé à Bruno, je lui ai dit qu’il devait tout prendre sous son aile, incluant la direction artistique. Il sait pas pour nous. Tu vas être entre bonnes mains. T’as un talent formidable. Le monde est à tes pieds. Tu m’remplaceras par une plus belle et une plus intelligente plus vite que tu ne pourras t’en apercevoir. Je t’aime Julian. J’vais toujours t’aimer. Je dois raccrocher. »
Alors que tout était en place pour une crise existentielle majeure, Julian accepta anormalement bien la nouvelle de leur rupture. Enfin pas sur le coup, mais ensuite oui. Les sentiments d’abandon et d’impuissance se transformèrent rapidement en une exaltation étrange, et la mélancolie des instants furtifs passés avec Eva se muta en une furieuse quête de succès. Voulait-il inconsciemment lui faire regretter son choix ? Dans les minutes qui suivirent l’appel, quelque chose se passa en lui. Son personnage, celui qui a marqué l’histoire de la musique, émergea naturellement, comme pour compenser sa perte. Celui qui vit son nom apparaître dans les dictionnaires avant celui d’Arnaud Chavagnac, le mari d’Eva, était un être vif, incroyablement perfectionniste et d’une créativité sans bornes. C’est à ce même moment qu’il vécut son deuxième épisode métaphysique et qu’il survola sa suite et s’observant de tous les angles. Après avoir découvert au préalable pourquoi il n’avait jamais aimé personne, sa deuxième épiphanie serait encore plus marquante : il savait maintenant comment aimer. Julian sentait que toutes les portes étaient ouvertes, à condition qu’il donne le meilleur de soi en tout temps. Et qu’en donnant tout, il oublierait que sa muse avait choisi le confort. Fait à noter, il n’avait bu que quelques bières ce soir-là.
Les trois autres spectacles au Band on The Wall furent anthologiques. Bien au-delà des flatteries sur les réseaux sociaux et du buzz sous-terrain, les magazines spécialisés et les médias de masse s’emparèrent rapidement du phénomène, qu’ils contribuaient à alimenter. Dans les semaines qui suivirent, la planète musique fut tapissée par l’image de Julian. De NME à Pitchfork, en passant par le Rolling Stones et la rubrique musicale du Guardian : tous les ingrédients étaient en place pour susciter des attentes énormes, mais également une demande commerciale importante à l’approche du lancement de son premier album. Entre le temps passé en studio, sur scène, en déplacement et en entrevues, il n’avait même pas le loisir de se morfondre de l’absence d’Eva. Certes, elle l’habitait toujours et il se prenait constamment à rêver qu’elle revienne sur sa décision, complètement en déroute et en manque de lui, mais sa tristesse était relative et ne l’empêchait pas de continuer sa route. Il lui manquait cependant encore une chose pour surpasser le statut de saveur du mois : quelque chose comme le riff de Satisfaction des Stones ou encore la mélodie de One de U2. Il y pensait le jour et en rêvait la nuit. La presque totalité de ses discussions avec son clan portait sur le sujet. Son EP était devenu au fil des semaines un album complet. Il lui fallait encore trouver son chaînon manquant. Le truc qui allait chambarder autant sa vie que celle de tous ceux qui l’écouteraient en boucle. L’étincelle qui allumerait tous les briquets dans les stades. Qui pousserait peut-être Eva à le rappeler, qui sait ?
C’était un mercredi soir de juin, pluvieux, mais assez chaud. Il était à Bruxelles pour deux jours et profitait d’une rare soirée libre. Il avait soupé avec Bruno, qui se sentait revivre comme dans les premiers temps de la carrière de Lou. Il végétait dans sa suite depuis une trentaine de minutes, quand la sonnerie du téléphone de sa chambre d’hôtel retentit. Il prit le combiné, anormalement gros : « Monsieur Lennon (c’était son nom de code dans les hôtels), un homme qui dit vous connaître, un certain Arnaud C, demande à vous voir. Il est à la réception. Est-ce que je peux lui donner votre numéro de chambre ? Préférez-vous descendre ?
Chapitre 6
Mick
Mick
Après un instant ou deux à relier les points dans sa tête, Julian, surpris, réfléchit rapidement et, même s’il se sentait peu méfiant, répondit à la préposée de l’accueil qu’il descendrait d’ici dix minutes. D’en aviser Monsieur C, qui pourrait l’attendre au bar de l’hôtel. Après avoir reçu la confirmation de son interlocutrice, qui avait validé que le visiteur l’attendrait tel que convenu, il remit ses pantalons et ses chaussures, en oubliant ses bas qui avaient glissé sous le lit. Il était plus curieux que soucieux. Au fond, il n’avait rien à se reprocher : il n’avait pas tenté de revoir Eva ou même de lui parler depuis leur rupture. Il avait respecté ses souhaits en tous points. Rien ne justifiait qu’il se fasse passer à tabac par un mari jaloux. D’ailleurs, c’était de notoriété publique que Chavagnac n’était pas blanc comme neige : quelques années auparavant, son nom avait été mentionné à plusieurs reprises dans les médias nationaux français lors des audiences qui avaient suivi un grand scandale financier ; il avait également déjà été marié à une starlette de télé-réalité française et avait fait les belles heures de nombreuses boîtes de nuits parisiennes, avant de se caser assez subitement avec Eva. Dans l’ascenseur vers le rez-de-chaussée, en semi-apesanteur, Julian se dit même qu’il était en position de puissance. C’était Chavagnac le cocu. En regardant sa réflexion dans les portes chromées, il prit une grande respiration et redressa ses épaules.
Arnaud était assis au bar, seul. Il portait un complet gris classique, une chemise blanche carrelée d’un bleu acier assez pâle et une cravate ultra-marine à petits pois azur. Il arborait une épinglette de l’entreprise familiale. Ses sourcils foncés et très épais révélaient des yeux bruns plutôt petits. Pas un cheveu gris n’émanait de cette tête brune fournie et peignée au naturel comme seuls le font les fils des grandes familles. Rien ne trahissait ses cinquante-trois ans. Surtout pas son sourire de jeune premier, lorsqu’il commanda un whisky japonais à cette barmaid blasée. Sans glaçon, car le contraire aurait révélé une faiblesse de caractère.
Julian arriva rapidement. Ils se reconnurent immédiatement. Arnaud sourit à nouveau, pour désamorcer toute tension. Julian fit de même, plus discrètement, en s’assoyant à ses côtés. La barmaid demanda à Julian ce qu’il voulait boire et lui rapporta rapidement un verre de Leffe.
Arnaud : « Merci d’être descendu si rapidement. En fait, merci d’avoir accepté de me rencontrer. Et surtout, ne vous en faites pas, je ne suis pas ici pour vous provoquer en duel… »
Julian : « De rien. Mais comment avez-vous su que j’étais ici ? »
Arnaud : « J’étais en réunion à la BCE toute la journée. En revenant vers mon appartement, j’ai remarqué des affiches placardées un peu partout qui annonçaient votre spectacle aux Halles de Schaerbeek demain, je crois. J’ai demandé à des collègues où logeaient les artistes. J’ai tenté ma chance à un autre hôtel puis à celui-ci. J’aurais abandonné si je ne vous avais pas retrouvé ici… »
Julian : « Ah bon, j’comprends. J’savais pas que la promo était si intense. Je sais pas trop comment vous demander ça… Comment va Eva ? »
Arnaud : « Sans façon. Elle semble aller. Enfin, c’est jamais évident de lire ses états d’âme. Elle est à Osaka pour deux ou trois semaines. Elle organise des événements pour une semaine de la mode là-bas. Mais bon, vous vous demandez sûrement ce que je veux. J’attendais la bonne occasion de vous rencontrer depuis quelque temps… »
Julian : « La bonne occasion pour quoi au juste? Et est-ce qu’on peut se tutoyer ? »
Arnaud : « Bien sûr. Écoute Julian, j’aime Eva. Je ne suis pas le salaud contrôlant qu’elle a dû te décrire. J’ai souvent accepté ses petites aventures, tant que ça restait sur l’air du temps. J’ai moi-même eu mes épisodes. Eva est splendide, j’ai toujours su qu’elle ne serait jamais qu’à moi. Ni à personne d’ailleurs, car si j’ai une certitude en ce qui la concerne, c’est qu’elle n’appartiendra jamais à personne. Mais avec toi, je la sentais différente. Je voyais que ça durerait. Elle me glissait lentement entre les doigts. Il fallait qu’elle fasse un choix… »
Julian, levant son verre : « Santé à toi! T’es clairement le grand gagnant. »
Arnaud : « Si tu savais comme elle était mal en point quand je l’ai rencontrée. Elle sniffait comme un aspirateur. Elle devait de l’argent à tout le monde, dont un mec louche, un certain Jimmy. Elle faisait la fête avec d’autres mannequins six jours sur sept. Elle était si maigre. Je sentais sa détresse. Je sentais qu’elle valait plus. Elle était vive, cultivée, mais tellement perdue. Comme si son esprit était en opposition totale avec son mode de vie. Je voyais dans ses yeux qu’elle voulait se sortir de tout ça. Alors je l’ai sortie de là, je l’ai référée à des amies galeristes et elle a débuté à organiser des expositions. J’ai toujours voulu son bien… »
Julian : « Elle ne m’a jamais dit qu’elle avait été mannequin après l’université. J’imagine qu’elle avait honte de cette période… »
Arnaud : « Sûrement. Donc avec toi, c’était différent. J’ai dû lui imposer un choix. Je ne pouvais pas accepter la situation. Elle changeait. Je la sentais plus distante avec moi, plus froide, comme si notre différence d’âge lui avait soudainement sauté au visage. Et toi tu es de son âge. Tu la connais. Elle a toujours été attirée par les vrais artistes. Moi je suis pas capable d’écrire une rime. Et là ta carrière qui explose… Mais, ce qui m’a incité à te rencontrer, c’est quand j’ai eu ouï-dire que la présidente d’une de mes entreprises se vantait d’avoir récemment couché avec toi. Une certaine Debby... Ça te dit quelque chose ? »
Julian : « Oui. J’ai eu mes mauvais moments moi aussi récemment… »
Arnaud, buvant une grande gorgée de whisky et devenant de plus en plus loquace : « Je pouvais pas comprendre. D’un côté Eva, ma Eva. La déesse. Et là, je sais pas si c’était en même temps, mais cette femme, disons, et là je vais être poli, ne m’en veux pas, mais bon, cette femme pour le moins en déficit de fraîcheur. Je comprends pas. C’est comme si tu étais partout. Je me suis dit « il faut que je lui parle ». Fallait que je comprenne le phénomène. Tu sais, je suis pas du genre à personnaliser des conflits. Si Eva était éprise de toi, c’est qu’il y a quelque chose de fascinant en toi. Je suis curieux. Et même si j’ai tous les airs d’un banquier froid, j’aime aider et m’entourer de mes contraires. Ça me rassure. Et sache qu’Eva ne sait rien de notre rencontre. J’aimerais que ça demeure entre nous. »
Julian : « D’accord. Ça, pour être ton contraire… J’ai jamais mis une cravate de ma vie. Aucune idée comment faire un noeud. Et moi, les chiffres, au mieux je sais additionner. »
Arnaud : « J’ai quelque chose à te proposer. Je sais que tu travailles sur ton album. Eva m’a mentionné il y a quelques mois, avant que je sache pour vous deux, qu’il te manquait quelque chose, comme un vrai réalisateur, que tu voulais trop tout faire et que ça te coulerait... Et là, il y a une dizaine de jours, alors que j’étais sur la Croisette à la soirée des frères Weinstein, je tombe face à face avec Mick Jones. Je sais que ça ne paraît pas comme ça, mais j’ai déjà été un peu jeune et fou. The Clash, Rock the Casbah, Should I Stay or Should I Go… C’était mes tubes favoris. Alors j’ai jasé quelques minutes avec Ze Mick. Et j’ai pensé à toi. Et je lui ai parlé de toi. Je suis comme ça moi. (Et là il part à rire assez fort). Enfin, il était intéressé. Il s’est fait construire un studio à Antibes… »
Julian : « Mais l’album est pratiquement terminé. Je travaille avec mes gars là-dessus depuis trois mois. J’comprends pas trop l’idée. Jones est génial, surtout son travail avec les Libertines. J’ai moins aimé ce qu’il a fait avec Gorillaz. J’ai le plus grand respect pour lui. Mais on peut pas tout refaire… »
Arnaud, le regard perçant : « J’aime Eva. Je m’en veux de lui avoir imposé ce choix. Écoute : j’appelle Mick. Je finance six semaines complètes en studio. Toi, tes musiciens, Mick, son ingénieur de son… Je veux que tu partes pour Antibes et que tu produises le putain d’album de ta vie. C’est ma manière de me racheter aux yeux d’Eva. Elle ne le saura que si tu veux le lui dire. Oui. Toi. En personne. »
Le surlendemain, en début d’après-midi, Julian et sa bande, Bruno en tête, pénétrèrent à bord d’un avion de Brussel Airlines. Une heure et un peu plus de cinquante minutes plus tard, ils atterrirent à Nice où un chauffeur les attendait. Et puis en trente minutes, il arrivèrent à une magnifique villa surplombant une plage de sable à Juan-les-Pins, propriété d’Arnaud Chavagnac. Le studio de Mick Jones était situé tout près. Tous les engagements de Julian avaient été annulés pour qu’il se concentre uniquement sur l’enregistrement de son album, ou enfin son réenregistrement. Mick les attendait sur la grande terrasse, un verre de Rosé des sables à la main. La rencontre d’une vie.
Chapitre 7
Anna
Anna
La poussière roulait en boule sur le bord de la piscine, poussée par le Mistral. Les deux hommes étaient assoupis sur leur chaise longue, au soleil. Ils dégustaient simplement le temps qui passe, épuisés, après un blitz de plus de 72 heures d’enregistrement en studio. De la folie pure. Le soleil se faisait lourd comme il sait l’être, fin juillet, sur la Côte d’Azur. Bruno s’était envolé la veille vers Londres, épuisé. Les trois musiciens du groupe étaient restés sur place pour profiter de la plage. Le gros du travail était terminé : un album était presque né. Julian et Mick respiraient profondément la satisfaction du devoir accompli. Mick avait la certitude d’avoir produit une étoile scintillante dans l’univers trop morne de la pop alternative. Julian n’avait pas encore ce recul, sortant lentement d’une transe où les minutes avaient passé comme des heures.
Même Bruno, d’ordinaire plus sceptique, savait qu’il avait sous la main quelque chose de gros, de possiblement très gros. Il anticipait la gestion de la demande et l’organisation de la suite des choses. Il lui faudrait assurément gonfler son équipe de management. Une montagne de travail l’attendait, dont la coordination du lancement de l’album avec la compagnie de disque, et une panoplie de détails qui précéderaient le grand moment, du design de la pochette à l’organisation du plan de promotion. Rien ne serait laissé dans les mains d’une poignée d’exécutants qui ne feraient qu’appliquer les recettes classiques de la multinationale de la musique. Oh que non. Bruno avait la conviction qu’au-delà de la commercialisation de l’album, un bijou, il devait impérativement donner une saveur singulière à son artiste. Il planifiait de lui sculpter une aura de mystère, notamment en distillant les entrevues au compte-gouttes. Il avait tenté sans succès cette stratégie deux décennies plus tôt avec Lou, qui n’avait à l’époque ni la personnalité ni la volonté de résister au piège du vedettariat et de la sollicitation perpétuelle. Là, avec Julian, Bruno ressentait un phénomène sur le point d’émerger, et par le fait même, une occasion unique de marquer, à sa manière, l’histoire du rock.
Le soir de leur arrivée à Antibes, quelques semaines auparavant, Julian avait soupé seul à seul avec Mick, à son invitation. C’était pour lui une magnifique opportunité d’échanger avec son idole. Le moment semblait surréaliste pour Julian, alors qu’il représentait, pour Mick, une occasion de plus d’initier un néophyte à l’art du vin. Mick possédait un cellier de plusieurs milliers de bouteilles. C’était devenu son passe-temps favori que de dénicher des cuvées rares et de faire la rencontre de vignerons honnêtes qui savaient traduire les particularités de leur terroir. Après tout, le sud de la France était idéal : proximité avec l’Italie, particulièrement avec le Piémont et la Toscane, mais aussi avec une tonne d’appellations locales, la Provence et le Languedoc demeurant des régions souvent méconnues des amateurs fortunés, qui préfèrent un grand Bordeaux pompeux ou un Bourgogne hors de prix, à une appellation moins glamour de la vallée du Rhône. Cette soirée s’était déroulée naturellement, dans une ambiance aussi festive, amicale que pédagogique par moment. Le chef privé de la résidence s’était dépassé et avait servi une succession de tapas, qui permettaient à Mick de bien marquer certains accords avec ses vins préférés du moment, si bien que sans trop s’en apercevoir, Julian était passé graduellement d’une d’excitation frôlant l’anxiété à un état d’ivresse où confidences et éclats de rire étaient amplifiés par les effets croissants de l’alcool. En fin de soirée, ils sortirent de table, sans même avoir entamé le dessert. Ils avaient décidé de profiter de la terrasse et d’humer le fond de l’air, désormais plus frais, mais toujours empreint des herbes de Provence, qui poussaient naturellement un peu partout autour de la propriété. Ils vidèrent une dernière bouteille, une Cuvée 1717 de la Maison Arnoux et Fils, un Vacqueyras particulièrement délicieux dans son millésime 2005. Il était passé minuit et Mick sentit que son invité en avait visiblement eu pour son compte. Il le fit reconduire à la Villa de Chavagnac, où lui et son groupe demeureraient durant leur séjour. Ces quelques heures avaient suffi à révéler une complicité prometteuse.
Julian, lorsqu’il était en tournée, aimait traîner une guitare dans sa chambre. Alors cette nuit-là, lorsqu’il s’extirpa d’un rêve étrange, en sueurs et à bout de souffle, à 3h33 précises - il avait l’habitude de constamment se réveiller et regarder l’heure sur son iPhone lorsqu’il n’était pas chez lui - une mélodie inconnue trottait dans sa tête. Il n’arrivait pas à se rendormir car la mélodie continuait à tourner en boucle, malgré ses efforts pour s’en libérer. Elle avait débuté dans ce rêve, dont il se souvenait de tous les détails de manière très précise. En plongée sous-marine, il avait entendu une voix sourde qui chantait au loin, émanant d’une petite épave partiellement enfouie, ce qui l’avait incité à y pénétrer, malgré le peu d’oxygène restant dans sa bonbonne. La voix s’était faite de plus en plus claire, mais son origine était demeurée mystérieuse. Perdu dans un labyrinthe sous-marin, il avait enfin découvert la source de la voix à l’aide d’une lampe de plongée, aux confins d’un corridor sombre. La mélodie, obsédante, était maintenant devenue clairement audible. Mais ce n’était rien comparé à son origine, terrifiante. C’était Eva, morte-vivante, qui chantait, totalement impassible. Sa peau était grège, visiblement en décomposition avancée, mais ses lèvres demeuraient toutefois très rouges et éclatantes. Et quand il avait tenté de rebrousser chemin, en manque urgent d’oxygène, il s’était perdu dans l’épave, d’où il avait fini par suffoquer, ce qui provoqua son réveil et l’état de panique dans lequel il se trouvait. Après une trentaine de minutes d’insomnie à combattre cette mélodie tout en tentant de retrouver sommeil, il ressentit graduellement une pulsion obsédante. Il oscillait entre le désir de dormir et celui de jouer la mélodie à la guitare, ce qu’il fit en s’enregistrant avec son téléphone, comme pour s’en extirper. Des paroles vinrent spontanément accompagner la mélodie, en improvisation totale, quasi inconsciente. Il déclamait spontanément quelque chose qui se dégageait de profond en lui :
« Anna, je sais que tu es là,
je t’attends depuis l’orphelinat,
Anna je sais que tu es là,
cachée derrière la porte ou sous les draps,
Anna je sais que tu es là,
sans toi j’ai peur Anna, Anna… ».
Il s’endormit en oubliant d’interrompre l’enregistrement, qui s’allongea d’une longue heure, où l’on ne pouvait qu’entendre ses ronflements.
Le lendemain, en se réveillant vers les 11h, il avait complètement oublié son épisode de création nocturne. En prenant son téléphone, il s’aperçut qu’un enregistrement avait été fait, car l’application était demeurée ouverte. Tout lui revint rapidement par la suite, et il s’empressa d’écouter le tout. Il fondit en larmes, seul, dans sa chambre, les musiciens prenant leur café sur la terrasse de l’autre côté, riant entre eux.
Anna deviendrait le titre du plus grand succès de toute sa carrière, une chanson qui serait éventuellement homologuée par le magazine Rolling Stones comme l’une des 50 chansons les plus marquantes de l’histoire du rock. Ce serait aussi la première pièce qu’il enregistrerait avec Mick à Antibes, dans le cadre de son album éponyme. Sa texture teinterait toutes les autres, déjà existantes, qui seraient par la suite refondues dans l’univers sonore très particulier qui suinterait de ces séances d’enregistrement. La complicité entre Julian et Mick n’avait rien de compliqué : elle était essentiellement constituée de regards, de phrases courtes et d’une compréhension très pointue de ce qu’ils voulaient accomplir ensemble.
Trois mois passèrent. La grisaille automnale s’était lentement mais sûrement installée, et avait pavé la voie à la rentrée culturelle. Des séries de spectacles étaient désormais annoncées dans les grandes capitales. Julian et sa bande avaient été propulsés au rang de stars à la suite de la sortie de l’album, savamment orchestrée par la campagne promotionnelle conçue par Bruno. Le groupe jouait à guichets fermés soir après soir, enfilant les salles comme les mannequins enfilent les robes dans un défilé. Les critiques avaient encore une fois été dithyrambiques, ce qui avait eu comme effet de faire fuir les hordes de hipsters « early adopters », mais surtout de séduire des vagues imposantes de nouveaux adeptes, qui représentaient un marché infiniment plus important. Ce sont ces segments qui avaient jadis élevé U2, Coldplay et même Arcade Fire au statut de légendes. Julian, qui avait anticipé l’ouragan, avait préalablement exigé à son gérant d’être libéré au moins une dizaine de jours en novembre, pour reprendre son souffle et faire le plein d’énergie. Tout s’était tellement bousculé dans sa vie qu’il n’avait plus l’impression de contrôler quoi que ce soit. Ce petit congé arriverait juste à point.
C’était un mardi soir où l’humidité froide de novembre transperçait les os. Il était de retour chez lui depuis deux jours et mangeait une pizza, seul, après s’être défait, lors de son retour du restaurant, d’une meute de fans qui s’étaient rapidement attroupées autour de lui, les unes se prenant vulgairement en selfie avec leur idole, les autres lui demandant simplement un autographe. Après avoir gentiment collaboré pendant une dizaine de minutes, il avait réussi à les semer et à préserver l’anonymat de son repère, tenant sa pizza d’une main tout en enfonçant sur sa tête une casquette des Yankees de New York. Il avait bien pris le temps d’observer s’il était suivi, avant de rapidement se jeter dans son immeuble glauque. Une vingtaine de minutes étaient passées depuis son retour à l’appartement. Il en était à sa dernière pointe et buvait une bière à même la canette, en regardant une téléréalité française, quand il entendit cogner à l’entrée. Son premier réflexe fut de penser qu’il avait été débusqué par une fan plus futée que les autres, ou que Bruno lui rendait une visite impromptue. Beau joueur, il se leva et répondit. En ouvrant la porte, son coeur cessa de battre. Eva se tenait devant lui, tremblante, son imperméable Burberry beige entrouvert.
Elle avança et le serra très très fort dans ses bras. Il fit de même. Aucun mot ne sortit de leurs bouches. Ils étaient là, debout, leur énergie les fusionnant et les apaisant à la fois. Après quelques minutes où le temps s’était littéralement figé, une tension commença à s’installer. Les mains de Julian débutèrent leur descente vers la taille de sa partenaire, atteignant puis empoignant ses fesses, qu’il avait toujours vénérées. En amplifiant ses caresses, il sentit Eva respirer de plus en plus fort… Il eut le réflexe de se reculer légèrement d’elle pour mieux la voir, pour bien valider que ce qu’il vivait n’était pas un fantasme rêvé. Et juste au moment où il allait ouvrir la bouche pour lui demander la raison de sa présence, elle plaça son index sur ses lèvres et lui signifia implicitement de rester muet. Elle le poussa ensuite vers l’intérieur de l’appartement, referma la porte, enleva son imper, qu’elle laissa tomber sur le sol, et se mit à genoux devant lui. En un instant furtif, elle défit sa braguette, sortit avec délicatesse son membre déjà en érection et débuta une fellation. La mère de toutes les fellations. Elle savait ce qu’il aimait et appliquait son art dans les moindres détails, avec une passion et un dévouement absolus. Eva était excitée par la situation. Triste, mais excitée, elle gémissait légèrement tout en accélérant le rythme. Lorsqu’elle sentit qu’il était pour jouir, elle le prit très profondément et aspira toute sa semence. Pendant qu’il dégustait encore les soubresauts de son orgasme et anticipait la suite, elle se releva, remit immédiatement son imper et quitta sur-le-champ, ne lui laissant même pas l’occasion de dire un mot. Il resta là, béat, confus, immobile. La porte était restée ouverte et il entendait les claquements de ses talons résonner dans la cage d’escalier, dans un rythme effréné. Il ne tenta même pas de la rejoindre.
Julian se sentait à la fois étourdi et perturbé. Il avait reçu l’équivalent d’un fixe fulgurant d’affection et de sexe, de surcroît par l’amour de sa vie, et se retrouvait soudainement en manque cruel d’elle, abandonné de nouveau et confronté à des démons qui réapparaissaient graduellement. Tétanisé au début, il ressentit ensuite une envie irrésistible de fouiller dans une petite boîte, qu’il avait placée dans un placard plusieurs années auparavant. Habité par un sentiment d’urgence, il passa méticuleusement à travers chaque item contenu dans le récipient, comme s’ils représentaient des fétiches d’une dimension quasi religieuse. La boîte, usée, contenait des dessins qu’il avait réalisés enfant, des photos, quelques livres et cahiers, de petites figurines, mais également son certificat de naissance. Julian n’avait jamais eu de famille, à l’exception des quelques séjours où il avait été placé temporairement en accueil. Il était de ceux que les parents adoptifs ignoraient systématiquement. Celui qui avait toujours espéré, mais qui n’avait finalement jamais été choisi : l’éternel déçu, l’éternel écorché, le petit garçon sans cesse rabaissé par le départ vers une vie meilleure de ses frères et soeurs d’infortune. Sur son certificat étaient inscrits sa date et son lieu de naissance : 26 mai 1987, Paris, Clinique De La Muette; son nom complet : Joseph Giorgio Julian Gianfermo; la mention Père inconnu ainsi que le nom de sa mère : Anna Gianfermo.
Julian se sentait à la fois étourdi et perturbé. Il avait reçu l’équivalent d’un fixe fulgurant d’affection et de sexe, de surcroît par l’amour de sa vie, et se retrouvait soudainement en manque cruel d’elle, abandonné de nouveau et confronté à des démons qui réapparaissaient graduellement. Tétanisé au début, il ressentit ensuite une envie irrésistible de fouiller dans une petite boîte, qu’il avait placée dans un placard plusieurs années auparavant. Habité par un sentiment d’urgence, il passa méticuleusement à travers chaque item contenu dans le récipient, comme s’ils représentaient des fétiches d’une dimension quasi religieuse. La boîte, usée, contenait des dessins qu’il avait réalisés enfant, des photos, quelques livres et cahiers, de petites figurines, mais également son certificat de naissance. Julian n’avait jamais eu de famille, à l’exception des quelques séjours où il avait été placé temporairement en accueil. Il était de ceux que les parents adoptifs ignoraient systématiquement. Celui qui avait toujours espéré, mais qui n’avait finalement jamais été choisi : l’éternel déçu, l’éternel écorché, le petit garçon sans cesse rabaissé par le départ vers une vie meilleure de ses frères et soeurs d’infortune. Sur son certificat étaient inscrits sa date et son lieu de naissance : 26 mai 1987, Paris, Clinique De La Muette; son nom complet : Joseph Giorgio Julian Gianfermo; la mention Père inconnu ainsi que le nom de sa mère : Anna Gianfermo.
Chapitre 8
Julian
Julian
Julian n’avait revu Arnaud Chavagnac qu’à trois reprises en un peu plus de vingt ans : la première fois, à la demande d’Arnaud, ils avaient soupé dans une gargote du 7e arrondissement pour discuter des répercussions du premier album ; la deuxième fois, par hasard, ils s’étaient croisés à O’Hare dans le salon de leur compagnie aérienne commune, en attendant tous deux leur vol vers Los Angeles ; la troisième fois, à la demande de Julian, qui avait voulu régler tous ses comptes et rembourser au sous près tous les investissements de son mécène, ils s’étaient finalement vus à Londres dans une suite du Savoy. Plusieurs années avaient espacé leurs rencontres, mais malgré tout, après chacune d’elles, Julian ne pouvait s’empêcher d’en ressentir les contrecoups pendant plusieurs semaines. Les souvenirs réminiscents de son amour pour Eva avaient continué à sporadiquement le hanter, même s’ils commençaient à dater et avaient été supplantés, en apparence du moins, par plusieurs autres romances avortées. Les décennies passées en un coup de vent n’avaient pas tout effacé.
L’aurore se mourrait et la brume s’estompait graduellement de la cime des oliviers et des vignes de mammolo, dans un horizon taillé de collines érodées où s’enchevêtraient des dizaines de tons de verts différents. Julian était allongé sur une chaise longue Le Corbusier, à quelques pas de la piscine, sur une grande terrasse de terre cuite, surélevée de la vallée de quelques dizaines de mètres. Il avait fait aménager ce promontoire spectaculaire quelques années auparavant, lors de son achat d’un petit domaine ancestral toscan situé tout près de Barberino Val d’Elsa, dans une commune moins achalandée que celles où règnent les grands crus du Chianti, un peu plus à l’est. Il s’était réveillé avant l’aube, tourmenté, après quelques heures de sommeil très agité. La veille, avant de s’endormir, il avait consulté par habitude quelques sites d’information et était tombé sur une nouvelle pour le moins étonnante : « Décès du magnat Arnaud Chavagnac, victime d’une attaque de requin à l’île de la Réunion, alors qu’il s’adonnait au surf dans une zone interdite ». Pour la moyenne des ours, dont des milliers avaient indirectement subis les conséquences de son appétit vorace en affaires, ce décès n’évoquait que sarcasme et dérision : quelle drôle de revanche du karma que ce destin particulier d’un apôtre du libéralisme économique européen, avaleur de sociétés, pourfendeur de syndicats, obsédé maladif du rendement trimestriel, toujours aux aguets de la prochaine proie, et qui termine abruptement sa vie, à 58 ans, déchiqueté en lambeaux par un requin bouledogue !
Julian n’était pas de la moyenne des ours et cette nouvelle avait plutôt réanimé chez lui des émotions enfouies depuis longtemps. Il avait suivi de très loin la trajectoire du célèbre couple Eva et Arnaud Chavagnac. De leur mariage princier couvert par le Paris Match à la naissance de leur fille, en passant par certaines rumeurs de séparation, Julian n’avait jamais réellement pu éviter de parfois penser à elle. Certes, il avait vécu sa propre vie, vivre semblant un euphémisme dans son cas, car il avait tellement accompli, mais il n’avait néanmoins jamais vraiment pu se départir de ce voile subtil que représentait la potentialité d’Eva. Combien de fois s’était-il pris à revenir sur son passé et à le réinterpréter en imaginant ce qu’il aurait pu être dans cet univers parallèle ? Depuis quelques années, il avait par contre réussi, après de nombreuses rechutes, à relativiser le cours des choses et à ne plus retomber dans ce piège absurde de la nostalgie. Absurde, car il avait encore à ses pieds des centaines de milliers de fans, la majorité étant des femmes; car il avait joué dans toutes les grandes salles de la planète; car il était respecté et possédait une vingtaine de propriétés; car il avait encore une bonne partie de sa vie devant lui, malgré sa quarantaine presque achevée; car, surtout, il avait possédé et possédait toujours ce que tous rêvent de posséder : le succès.
Étendu et songeur, sur son fauteuil, regardant le soleil se lever au-dessus d’une courte rangée de cyprès, il ressentait la secousse approcher. Il l’imaginait sous le choc. Comment réagissait-elle, seule, avec une adolescente en larmes ? Était-elle dévastée par la suite des choses, dont l’immensité de la fortune à gérer ? Était-elle irritée par l’ingérence soudaine des uns et des autres, dont celle de sa belle-famille, réputée pour son opacité et son culte du secret ? Ou se sentait-elle affranchie de ses chaînes, à envisager l’avenir sans contraintes ?
On annonça quelques jours plus tard qu’une enquête serait conduite. Les funérailles de Chavagnac firent ensuite la manchette dans plusieurs pays. Julian s’efforça de ne pas regarder son écran pendant quelques temps et se résigna à reprendre sa vie là où il l’avait interrompue : à se reposer en famille, entre la fin de sa dernière tournée et le début de l’écriture du prochain album. Après tout, il n’avait pas revu Eva depuis plus de 20 ans et ne connaissait qu’une ancienne version d’elle. Il se rassérénait à la pensée qu’elle se soit graduellement mutée en bourgeoise sèche, pointilleuse et amère, à l’image de la famille Chavagnac.
Il ne ressentait pas le poids de ses 48 ans. Certes, son abdomen avait un peu épaissi, certaines rides étaient apparues çà et là, dont celles entre ses sourcils, et ses pectoraux n’arboraient plus la fermeté d’autrefois. Mais la densité de sa chevelure était demeurée anormalement intacte. Certaines personnes possèdent ce privilège d’échapper aux aspects les plus désolants de l’âge : leur posture ne se tangue pas, ils doivent aller chez le coiffeur à tous les mois et continuent de ressentir le besoin de faire l’amour sur une base quotidienne (et le font, sans pilule bleue !). Julian était ou serait de ceux-là. Sa vie avait passé trop vite et il ne se souvenait pas de tout. Il marquait donc le temps par jalons : ses albums, ses tournées et les naissances de ses trois enfants, Helena, Alice et Zac. La mère de ses enfants, Lucia, de qui il s’était séparé trois ans plus tôt, après avoir été surpris au lit avec un couple de mannequins bisexuelles, était restée une bonne amie, et ils s’entendaient à merveille sur l’éducation des enfants, dont elle conservait la garde la plupart du temps. Lucia acceptait même de passer de longs séjours à la villa toscane en sa compagnie, lorsqu’il prenait des périodes de repos prolongées, ce qui permettait à leurs enfants, dont la plus vieille avait déjà 14 ans, de passer du temps de qualité avec leurs deux parents. De toute façon, la villa était bien assez grande pour qu’ils préservent leur intimité, et même quand ils devaient passer du temps l’un avec l’autre, aucun malaise n’était perceptible, leur amitié prenant le dessus, à la manière de vieux amoureux maintenant devenus complices. Une seule règle avait été convenue par les deux parents : ne pas inviter d’amants ou de maîtresses. Il régnait une ambiance festive dans cette villa, car tout un univers d’amis et de connaissances venait constamment y passer du temps. Pour combler ses besoins sexuels récurrents, Julian n’avait qu’une vingtaine de minutes de route à faire pour retrouver une bonne « amie » qui gérait, depuis Florence, une grande coopérative viticole. Elle possédait un corps dont les tannins adoraient se faire délier par un quadragénaire célèbre et particulièrement long en bouche.
Six semaines plus tard, alors que son séjour en Toscane s’achevait et que le vieux Bruno mettait de plus en plus de pression pour que l’on redémarre la machine à albums, Julian décida un mardi matin de rendre visite à son « amie»». Son ex-femme lui demanda de vérifier s’ils avaient reçu du courrier, car elle attendait par la poste une confirmation de l’inscription de leur plus vieille à une école londonienne spécialisée en musique. La boîte postale était située à deux kilomètres de la villa, au centre du petit village. Il s’y rendit en accélérant rapidement, au volant de sa petite Spider Veloce rouge entièrement restaurée. En ouvrant la boîte postale, il vit deux enveloppes. La première, de grandes dimensions, provenait de la Brit School, et était destinée à Lucia. La seconde, plus petite, lui était adressée à la main, fait étrange, car personne n’avait vraiment accès aux coordonnées de la villa, hormis son entourage immédiat, qui pouvait le joindre directement par téléphone en cas de besoin. Aucune adresse de retour n’y était inscrite. Il retourna dans la voiture, s’assit et déchira l’enveloppe maladroitement. Nerveusement.
Julian,
Je t’écris parce que je ne désire pas m’immiscer dans ta vie de manière intrusive. Je t’écris aussi parce que je le peux. Tu sais, quand je t’ai revu à ton loft en cette fin décembre il y a déjà plus de 20 ans, si amaigri, vulnérable, avec tes yeux d’ange et ta manière tellement maladroite de cacher ta joie et ta douleur, à ce moment précis, car avant tu n’étais qu’un ami, je t’ai aimé Julian.
Quand nous nous sommes fréquentés, j’ai eu le choix de tout laisser pour toi. Mais je devais aussi vivre avec les menaces d’Arnaud, qui jurait à l’époque de te détruire et de détruire ta carrière qui débutait à peine. Quand j’ai décidé de te laisser, je lui ai fait me promettre de tout faire pour que tu réussisses ta carrière. C’était ma seule condition et il a accepté. Arnaud était impitoyable, mais il a toujours respecté sa parole. Je savais qu’avec ton talent, Bruno et les contacts d’Arnaud, tu pouvais y arriver. Je savais que tu pouvais devenir ce que tu es devenu, car je l’ai senti dès le début. Dès les premières répétitions dans ton loft.
Arnaud m’a fait lui promettre en retour de ne plus jamais te reparler. Je deviendrais sa femme et aussi la mère de ses enfants. J’ai accepté et je ne t’ai jamais reparlé, même pas une seconde lors de notre dernière brève rencontre, une fois où j’ai presque flanché. Il m’a toujours surveillée. Je n’ai jamais été réellement libre, à part peut-être les deux ou trois dernières années, car je le sentais lassé de moi.
Maintenant qu’il est mort, j’ai retrouvé ma liberté. Julian, je suis libre. L’écrire me donne envie de pleurer. Plus de vingt ans plus tard. LIBRE!!! J’ai racheté l’immeuble où tu restais à l’époque et me suis réservé le loft où je suis tombée amoureuse de toi. Ce n’est plus tout à fait le même immeuble, car il a été entièrement rénové, mais c’est physiquement le même endroit et l’espace où tu vivais est toujours le même. Accepterais-tu de venir prendre un café avec moi à Camden, là où tout a débuté ? Je t’attendrai à la sortie de la station Mornington Crescent. Nous pourrions simplement tenter de nous revoir comme lors de cette rencontre de décembre. Se revoir, sans attente, pour un moment, pour un mois ou pour le reste de nos vies ? Accepterais-tu de me revoir ? Je comprendrais que tu ne me répondes jamais. Mais sache que mes sentiments sont toujours aussi vrais.
Julian, tu as été mon seul, mon grand, mon plus magnifique amour.
Signé : Ta Eva xxx +44 20 7566 4282
-Fin-
Remerciements
Merci à Chantal et à Antoine d’avoir enduré mes absences d’esprit pendant quelques mois, surtout les fins de semaine, votre soutien est inestimable. Merci à notre équipe chez Camden d’alimenter mes rêves, notamment à mon associée et amie Marie-Michèle, qui m’a encouragé même si nous avions un million d’autres choses plus importantes à faire. Finalement, merci à ma mère qui me lit depuis mes tout premiers poèmes lorsque j'avais 13 ans.
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