Être publicitaire, c’est accepter d’être un imposteur. Nous ne sommes ni artistes, ni auteurs; nous incarnons bêtement, dans une grande proportion de notre temps, le rôle d’un acteur tertiaire dans la machine du capital: nous coulons comme de l’huile 10W30 sur un ensemble de pistons. Parfois l’huile ne sert à rien de plus qu’à maintenir en vie un moteur qui compte trop de kilomètres au cadran (si vous vendez des merdes comme des Buick ou que vous devez donner l’illusion que Sears est encore dans le coup, par exemple), parfois elle permet à des engins vigoureux de carburer encore plus à fond et de surpasser la concurrence. Nous ne sommes ni des artistes, ni des auteurs, mais nous maquillons, ça oui. Nous maquillons sans toutefois mentir, faut saisir la nuance: nous travestissons plutôt, nous donnons de l’éclat à ce qui est terne, nous rendons plus désirables des produits souvent rendus trop vieux pour plaire aux nymphes et aux éphèbes; nous sommes le Botox et le traitement par lissage de marques sur le retour d’âge; nous sommes également les rides rassurantes d’un George Clooney pour des entreprises trop nouvelles pour générer la confiance d’un consommateur méfiant. Parfois nous contribuons même à la naissance par césarienne d’une image qui rendra assimilable une notion autrement abstraite, comme si nous parfumions le vent et lui donnions la chaleur de la fin du printemps (fallait le faire de vendre le «Cloud Computing» à une population qui se demandait à l’époque où étaient cachés les disques rigides dans le ciel). Être publicitaire, c’est aussi et avant tout accepter d’être constamment exposé au jugement de tout un chacun.
Je suis donc un imposteur qui doit générer le désir et qui est exhibé à la sentence subjective et souvent incisive d’hommes incapables d’exciter une vieille nymphomane désespérée et de femmes qui ne pourraient entraîner dans leur chambre de motel glauque le fameux Gérard de Cruising Bar. Ni artiste, ni auteur, je suis ce que ceux qui n’y savent rien ont appelé un «créatif» (le genre de terme qui valorise les jeunes premiers en leur donnant une aura aussi superficielle qu’un ministre libéral). Être un excellent imposteur n’est pas donné à tous, ça requiert d’avoir été abandonné dans son coeur et d’avoir compensé la douleur par une quête d’attention et de validation sans fin. Ce trou noir ne sera toutefois jamais réellement comblé et absorbera toute la lumière de l’univers. J’ai côtoyé des gens qui ont désiré toute leur carrière, en vain, devenir un bon imposteur (ils étaient trop normaux et équilibrés, le genre de personne qui fait son lit au réveil et porte des sous-vêtements trop propres de peur de mourir subitement et de faire honte à ses proches). Faire semblant d’être faux est une tâche infiniment subtile. Être publicitaire, c’est faire écran comme un miroir devant le soleil pour absorber toute l’apparence du monde, la digérer et, comme une éponge bien lourde de prétentions, la recracher plus sexy et la poitrine augmentée de deux lettres au visage de gens qui s’en branlent généralement. Tout ça dans l’attente enfantine et irrationnelle de recevoir une tape sur l’épaule qui vous dira, implicitement, avec la voix grave et tremblante du père absent dorénavant repentant (imaginez celle de Jean-Pierre Marielle dans Tous les matins du monde): «je t’aime, tu es correct mon gars, je suis fier de toi. Je suis vraiment fier de toi mon gars» (notez ici la répétition pour augmenter la charge émotionnelle, c’est un réflexe professionnel).
Mais la tape sur l’épaule ne viendra jamais car vous n’êtes plus un enfant de 8 ans. Seule l’illusion perdurera un temps pour ensuite laisser la place à la conscience, et à ce moment, l’éponge sera asséchée et vous serez, comme moi, épuisé par la soif inassouvissable de se sentir exister en toute pertinence. Nous devenons initialement publicitaire pour prétendre être quelqu’un, en croyant naïvement emprunter un raccourci et en espérant finir par y croire. Et vous savez quoi? C’est quand nous acceptons finalement que nous ne sommes rien, enfin rien de plus ou de moins qu’un autre (et que ce n’est pas plus grave que ça), que nous naissons vraiment et débutons le périple. Être imposteur, être publicitaire, c’est littéralement le plus beau métier du monde, car ça nous met éventuellement au monde, un concept à la fois.