Toucher c’est s’exposer au jugement, au rejet. C’est furtivement s’immerger dans l’énergie de l’autre, dans l’inconnu. Certaines cultures se touchent beaucoup, d’autre moins. C’est pareil dans certaines familles où l’osmose fait partie du rituel quand chez d’autres, il demeure de bon ton de rester sur son quant-à-soi. Pourquoi certaines personnes s’investissent totalement dans une simple bise alors que d’autres peinent à subir un subtil frôlement de la joue, un peu comme si nous leur imposions le supplice de la goutte d’eau? Conditionnement ou dégoût? N’en demeure pas moins que l’humain a besoin de toucher et d’être touché, au propre comme au figuré. Certains des moments les plus charnières de nos vies auront été déterminés par le toucher, de notre naissance à notre premier baiser, ou même, tristement, en tenant la main d’un être cher juste avant sa mort. Alors que le toucher physique peut provoquer du réconfort, de la chaleur, du plaisir, celui plus délicat des émotions vient carrément arrêter le temps pour s’immiscer dans notre mémoire: c’est ce que nous appelons le frisson, quand les poils des bras se lèvent pour ovationner l’instant. C’est exactement ce que j’ai ressenti quand j’ai visionné la publicité en introduction, un bijou de la mythique Chiat\Day Los Angeles pour un partenaire depuis 24 ans de la Ligue de baseball majeur: Gatorade. Une réussite où le sujet principal s'investit à toucher ses fans, un à la fois.
L’utilisation du noir et blanc en symbiose avec la musique, avec l’histoire des Yankees de New York et avec le style de Derek Jeter, qui, après 20 ans, prendra sa retraite du club du Bronx le 28 septembre prochain et à qui la publicité est entièrement dédiée, me semble particulièrement judicieuse. La progression lente et irrésistible de l’intensité émotionnelle émanant d’une sorte d’hybride entre le «stunt» et le film publicitaire classique, où la réalité du lien entre la vedette et ses fans vient magnifier sa légende - l’expression visage de l’enfant à la casquette tenant sa balle autographiée à la seconde 58 vaut à lui seul le message en entier - évacue nos dernières résistances. L’ovation en finale, malgré le positionnement trop évident du produit, vient complètement nous achever. Jeter aurait lui-même collaborer au concept avec l’agence, voulant remercier à sa façon une communauté qui lui aura demandé beaucoup mais redonné tout autant sinon plus. Une annonce journal a également été produite, vous pouvez la trouver plus bas.
Ça m’a pris 15 ans pour comprendre pourquoi je n’étais pas spontanément enclin à toucher les autres. Par la suite, j’ai débuté la pub et maintenant j’en fais mon objectif principal. Toucher peut faire autant de mal que de bien, souvent les deux se confondent, mais toucher, au fond, c’est révéler notre humanité.