Imaginez que votre meilleur ami vous brave le lundi à 14h à faire un saut de bungee pour une fondation des maladies du coeur; que le mardi midi votre belle-soeur vous invite à vous filmer du fond d’une piscine pour une fondation des maladies pulmonaires; que le mercredi votre frère vous incite à marcher 20 mètres sur les mains pour une fondation liée à l’ostéoporose; que le jeudi matin, votre blonde vous propose de résoudre une énigme et de la partager à vos amis sur Facebook en échange de dons pour une fondation du cancer du cerveau ; et que le vendredi, finalement, votre maman vous lance le défi de traverser un mur de feu pour la cause du cancer de l’estomac? J’exagère, je le sais, mais c’est vers ça qu’on se dirige lentement mais sûrement.
Aucune cause liée à la préservation de la santé ou à la dignité humaine ne mérite l’oubli. Dans certains cas, il s’agit de sensibiliser la population, dans d’autres cas de recueillir du financement pour la recherche, et dans plusieurs cas il s’agit d’un alliage des deux; mais dans tous les cas les besoins sont réels. Aucune personne saine d’esprit ne pourrait tangiblement nier l’utilité des dizaines de millions recueillis par le Ice Bucket Challenge au profit de la recherche sur la SLA, une maladie aussi terrible que méconnue qui mérite qu’on s’y attarde collectivement. Personne n’est contre la vertu ni contre la volonté de générer de l’espoir. Mais pouvons-nous nous reculer un peu et tenter de mieux saisir le contexte plus global des causes sans être taxé de «hater» ou de rabat-joie? Voici en vrac quatre raisons qui militent contre le concept de campagne «virale» des causes.
1- Une cause n’est pas une boisson gazeuse
Que Coke et Pepsi se battent pour des parts de marché ne fera de mal à personne. Que vous choisissiez d’aller chez Target ou Costco plutôt que chez Walmart relève de la saine mais non moins sauvage concurrence d’entreprises commerciales dont l’objectif principal est l’accroissement du profit. Et quand on parle de concurrence, on parle inéluctablement de gagnants et de perdants, c’est la nature du jeu. Mais comment pouvons-nous collectivement accepter que l’essentiel du financement des causes sociales, toutes importantes, en soit rendu à dépendre de stratégies marketing ou de tactiques au goût du jour? Qu’une cause soit plus populaire qu’une autre, indépendamment des besoins réels? Que des centaines de causes soient laissées aux oubliettes car incapables de se démarquer, que ce soit par manque de ressources, de créativité ou simplement parce que leur nature appelle moins les segments démographiques les plus actifs quand il est temps de donner? Une cause n’est pas une marque de gomme à mâcher, les perdants ne font pas faillite, ils meurent en silence. Pour vrai.
2- Laissons la mode à sa place, dans nos tiroirs
De Movember aux égo-portraits en passant par l’utilisation massive des médias sociaux à des fins de valorisation personnelle, nous vivons à une époque où le narcissisme fait rage, c’est la vie. L’importance de l’apparence et la multiplication des styles, certains parmi les plus exigeants relevant de la volonté de ne pas sembler en prôner un, bref, cette réalité dicte une grande partie des stratégies de communication et des tactiques à potentiel viral déployées par les causes. Quand l’adhésion à une cause est liée au narcissisme, à une mode ou à un courant, elle est par définition volatile et sur l’air du temps. Bien sûr, les dollars seront au rendez-vous maintenant et les objectifs de financement atteints à court terme, mais qu’en sera-il du développement d’ambassadeurs réellement concernés par la cause dans 5 ou 10 ans? Qu’en est-il de l’engagement durable, pour les bonnes raisons? Faire un coup d’argent pour retomber dans l’oubli quelques années plus tard, n’est-ce pas au bout du compte un coup d’épée dans l’eau? Laissons la mode à sa place et bâtissons des communautés impliquées pour vrai.
3- Perdre des milliards d’un côté pour en engranger quelques dizaines de millions l’autre, est-ce ça le succès?
Le budget total de la National Institute of Health au États-Unis a été amputé au net de près de 1,2 milliards de dollars depuis dix ans, coupant son pouvoir d’action de près de 25% si nous tenons compte de l’inflation. Cette agence est directement responsable du financement des causes liées à la santé chez notre voisin du Sud. Des sociétés individualistes élisent des gouvernements de droite qui promettent des baisses de taxes et d’impôts par un désengagement de l’état et par l’austérité. De tristes et très malades connards comme Rob Ford ont été élus à la tête d’économies locales importantes en séduisant leurs couronnes de la classe moyenne par des promesses de baisses de taxes. Un ministre de l’Éducation a même dit que les enfants ne mourront pas du manque de livres dans les écoles. Qu’on accepte que la société soit menée au plus fort la poche est une chose, mais de grâce, qu’on laisse les causes recevoir équitablement du financement public au profit du bien commun. À élire des lâches et à s’arroger personnellement le rôle de l’état dans le financement des causes, nous courons directement à notre perte, car nous n’en savons rien au fond.
4- Le réel pouvoir est politique
Militer dans un parti ou dans une organisation n’est pas sexy. Fonder un parti politique l’est peut-être encore moins. Proposer des changements de programmes et des engagements politiques relève peut-être de l’utopie. Mais un fait demeure, si nous n’acceptons pas de voter pour des formations politiques qui placent l’environnement et le bien commun au centre de leurs actions, comment pouvons-nous espérer un traitement juste et pondéré des différentes causes sociales dont les besoins sont criants? S’impliquer, militer et voter dans un climat de rupture de confiance entre la classe politique et la population est tout sauf intuitif en 2014, mais c’est le seul moyen réel d’aider les causes dans leur ensemble, en cessant de faire du «cherry picking» en fonction de nos humeurs.
Sans engagement citoyen, nous nous dirigeons rapidement vers une réalité encore plus triste, celle de notre désensibilisation collective envers les causes. Cette surenchère de dispositifs percutants ou de films qui nous tirent des larmes ne pourra qu’engendrer la banalisation. Nous serons alors retournés à nos origines animales, tout mouillés, la moustache longue mais le coeur vide. Je ne dis pas de ne pas donner, au contraire. En fait donnons, donnons partout si nous le pouvons, mais ne soyons surtout pas dupes.
Très bonne réflexion !
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