dimanche 24 août 2014

Pourquoi le viral tuera les causes en 4 raisons

Imaginez que votre meilleur ami vous brave le lundi à 14h à faire un saut de bungee pour une fondation des maladies du coeur; que le mardi midi votre belle-soeur vous invite à vous filmer du fond d’une piscine pour une fondation des maladies pulmonaires; que le mercredi votre frère vous incite à marcher 20 mètres sur les mains pour une fondation liée à l’ostéoporose; que le jeudi matin, votre blonde vous propose de résoudre une énigme et de la partager à vos amis sur Facebook en échange de dons pour une fondation du cancer du cerveau ; et que le vendredi, finalement, votre maman vous lance le défi de traverser un mur de feu pour la cause du cancer de l’estomac? J’exagère, je le sais, mais c’est vers ça qu’on se dirige lentement mais sûrement.

Aucune cause liée à la préservation de la santé ou à la dignité humaine ne mérite l’oubli. Dans certains cas, il s’agit de sensibiliser la population, dans d’autres cas de recueillir du financement pour la recherche, et dans plusieurs cas il s’agit d’un alliage des deux; mais dans tous les cas les besoins sont réels. Aucune personne saine d’esprit ne pourrait tangiblement nier l’utilité des dizaines de millions recueillis par le Ice Bucket Challenge au profit de la recherche sur la SLA, une maladie aussi terrible que méconnue qui mérite qu’on s’y attarde collectivement. Personne n’est contre la vertu ni contre la volonté de générer de l’espoir. Mais pouvons-nous nous reculer un peu et tenter de mieux saisir le contexte plus global des causes sans être taxé de «hater» ou de rabat-joie? Voici en vrac quatre raisons qui militent contre le concept de campagne «virale» des causes.

1- Une cause n’est pas une boisson gazeuse
Que Coke et Pepsi se battent pour des parts de marché ne fera de mal à personne. Que vous choisissiez d’aller chez Target ou Costco plutôt que chez Walmart relève de la saine mais non moins sauvage concurrence d’entreprises commerciales dont l’objectif principal est l’accroissement du profit. Et quand on parle de concurrence, on parle inéluctablement de gagnants et de perdants, c’est la nature du jeu. Mais comment pouvons-nous collectivement accepter que l’essentiel du financement des causes sociales, toutes importantes, en soit rendu à dépendre de stratégies marketing ou de tactiques au goût du jour? Qu’une cause soit plus populaire qu’une autre, indépendamment des besoins réels? Que des centaines de causes soient laissées aux oubliettes car incapables de se démarquer, que ce soit par manque de ressources, de créativité ou simplement parce que leur nature appelle moins les segments démographiques les plus actifs quand il est temps de donner? Une cause n’est pas une marque de gomme à mâcher, les perdants ne font pas faillite, ils meurent en silence. Pour vrai.

2- Laissons la mode à sa place, dans nos tiroirs
De Movember aux égo-portraits en passant par l’utilisation massive des médias sociaux à des fins de valorisation personnelle, nous vivons à une époque où le narcissisme fait rage, c’est la vie. L’importance de l’apparence et la multiplication des styles, certains parmi les plus exigeants relevant de la volonté de ne pas sembler en prôner un, bref, cette réalité dicte une grande partie des stratégies de communication et des tactiques à potentiel viral déployées par les causes. Quand l’adhésion à une cause est liée au narcissisme, à une mode ou à un courant, elle est par définition volatile et sur l’air du temps. Bien sûr, les dollars seront au rendez-vous maintenant et les objectifs de financement atteints à court terme, mais qu’en sera-il du développement d’ambassadeurs réellement concernés par la cause dans 5 ou 10 ans? Qu’en est-il de l’engagement durable, pour les bonnes raisons? Faire un coup d’argent pour retomber dans l’oubli quelques années plus tard, n’est-ce pas au bout du compte un coup d’épée dans l’eau? Laissons la mode à sa place et bâtissons des communautés impliquées pour vrai.

3- Perdre des milliards d’un côté pour en engranger quelques dizaines de millions l’autre, est-ce ça le succès?
Le budget total de la National Institute of Health au États-Unis a été amputé au net de près de 1,2 milliards de dollars depuis dix ans, coupant son pouvoir d’action de près de 25% si nous tenons compte de l’inflation. Cette agence est directement responsable du financement des causes liées à la santé chez notre voisin du Sud. Des sociétés individualistes élisent des gouvernements de droite qui promettent des baisses de taxes et d’impôts par un désengagement de l’état et par l’austérité. De tristes et très malades connards comme Rob Ford ont été élus à la tête d’économies locales importantes en séduisant leurs couronnes de la classe moyenne par des promesses de baisses de taxes. Un ministre de l’Éducation a même dit que les enfants ne mourront pas du manque de livres dans les écoles. Qu’on accepte que la société soit menée au plus fort la poche est une chose, mais de grâce, qu’on laisse les causes recevoir équitablement du financement public au profit du bien commun. À élire des lâches et à s’arroger personnellement le rôle de l’état dans le financement des causes, nous courons directement à notre perte, car nous n’en savons rien au fond.

4- Le réel pouvoir est politique
Militer dans un parti ou dans une organisation n’est pas sexy. Fonder un parti politique l’est peut-être encore moins. Proposer des changements de programmes et des engagements politiques relève peut-être de l’utopie. Mais un fait demeure, si nous n’acceptons pas de voter pour des formations politiques qui placent l’environnement et le bien commun au centre de leurs actions, comment pouvons-nous espérer un traitement juste et pondéré des différentes causes sociales dont les besoins sont criants? S’impliquer, militer et voter dans un climat de rupture de confiance entre la classe politique et la population est tout sauf intuitif en 2014, mais c’est le seul moyen réel d’aider les causes dans leur ensemble, en cessant de faire du «cherry picking» en fonction de nos humeurs.

Sans engagement citoyen, nous nous dirigeons rapidement vers une réalité encore plus triste, celle de notre désensibilisation collective envers les causes. Cette surenchère de dispositifs percutants ou de films qui nous tirent des larmes ne pourra qu’engendrer la banalisation. Nous serons alors retournés à nos origines animales, tout mouillés, la moustache longue mais le coeur vide. Je ne dis pas de ne pas donner, au contraire. En fait donnons, donnons partout si nous le pouvons, mais ne soyons surtout pas dupes.

jeudi 14 août 2014

Le rapport



La créativité publicitaire n’a de limite que celle de l’imaginaire, et c’est pas mal la beauté de la chose. Remâchez des influences culturelles, repensez un plan génial vu dans un film de Kubrick, digérez un courant musical ou un refrain de Lykke Li, éclatez-vous sur un saut créatif absurde, sur la simplicité d’un symbole, misez sur la beauté d’une image qui évoque un clair-obscur de Goya ou encore sur l’interprétation géniale d’une comédienne irrésistible de candeur, tout est possible. Absolument tout. Tant que ça a rapport.

La marque pour la marque, quand le symbole ne concorde pas avec son essence, quand l’idée conceptuelle est trop «far-fetched», quand le consommateur sent instinctivement que l’opération est cousue de fil blanc; la marque pour la marque dans un espoir de gain en notoriété lié à la mémorisation bête et stérile dénuée d’émotion ou de sens; la création pour le prix d’un concours qui permet de frimer avec des milliers de frimeurs qui se balancent de vous sur la Côte d’Azur, le concept décalé qui dégage un malaise et qui fait de la marque un répulsif, tout ça est inutile mais encore, malheureusement, trop courant.

Dans ce message pour la carte de crédit chinoise QQ Caibei par l’agence Leagas Delaney de Shangai, une oie est mise en vedette pour évoquer les possibilités illimitées que rapportent les points de récompense de cette carte. Le lien est indirect, l’idée absurde et la pertinence absente. Un bel exemple de ce qu’une créativité sans racine peut apporter à une marque, et là je parle de vide. Je conçois que le contexte culturel diffère du nôtre, n’en demeure pas moins qu’il manquera toujours quelque chose à cette publicité: le rapport.

Le rapport n’est pas toujours sexy, il émane souvent d’un travail pénible de recherche et de compréhension que les créatifs aiment éviter. Mais en bout de ligne, aucune grande idée ne pourra s’en passer, car le rapport en création publicitaire, c’est tout simplement une question de vie ou de mort.

mercredi 6 août 2014

À travers les mots

Les mots en disent souvent trop peu sur les réelles motivations ou l’état psychologique d’un individu. Demandez à 400 personnes de vous définir en quelques mots la raison pour laquelle ils se sont procurés une BMW et je peux vous assurer que seule une infime minorité vous confiera la vérité, la majorité se confortant en affirmant que l’achat était justifié par le design du véhicule, son confort ou encore par son niveau performance. Or, il n’en est rien. La très grande majorité des propriétaires de voitures luxueuses sont motivés par leur besoin de reconnaissance dans un cadre plus vaste de branding personnel.

Imaginez un collègue qui se plaint sans cesse. De sa femme. De ses ados. De la pluie qui tombe. De son hamster malade. Pensez-vous qu’il désire réellement vous communiquer l’injustice de toutes ces situations? Oh que non! Mais attirer plus d’attention sur lui, ça oui. À tort ou à raison. Et cette personne qui vous coupe par la droite de quelques millimètres en vous montrant son majeur bien dressé lorsque vous la klaxonnez? Rien de moins qu’une agression bien confortable qui peut dénoter une frustration liée au manque de pouvoir… Les mots et les gestes ne sont souvent qu’un symptôme, qu’une triste façade.

En publicité, nous devons lire les gens et comprendre leur quête réelle. Comment pouvons-nous aspirer à positionner clairement une marque si la motivation derrière le comportement de consommation nous est inconnue? Je ne parle pas ici de cordes sensibles collectives, mais bien de motivation profonde et identitaire.

Jamais n’avons-nous été globalement aussi seuls et aussi connectés à la fois. La solitude existentielle nourrit nos peurs et nos craintes, tout comme elle amplifie nos tares, de la carence en estime de soi à la perversion narcissique. Avant de rabrouer ou d’écraser un individu qui vous semble malsain ou négatif, pensez à ses motivations réelles: il deviendra soudainement insignifiant. L’empathie n’est pas qu’un outil bête utilisé par les bien-pensants du positivisme et de la zénitude, c’est surtout l’arme la plus redoutable des pragmatiques et des performants qui n'ont pas de temps à perdre à antagoniser les autres inutilement, avec tout ce que ça comporte comme énergie perdue. C’est aussi un excellent moyen pour faire baisser votre tension artérielle sans avoir à courir des kilomètres. Car lorsque nous nous attardons à voir à travers les mots, subitement, nous réalisons que nous ne sommes pas seuls. Surtout pas seuls.

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