lundi 30 juin 2014

Sophie s’en fiche

Nous allons l’appeler Sophie. Sophie représente le commun des mortels qui travaille, aime, rêve, voyage à l’occasion et vit pour avancer, pour combler ses enfants, apprécie une bonne bouteille de vin, un film collé sur l’amoureux ou l’amoureuse, bref, Sophie c’est pas mal nous. Grossièrement, mais pas tant que ça. 

Sophie, quand elle se lève le matin, doit s’occuper de tout-petit, le conduire à la garderie (l’amoureux fait la routine du soir), déjeuner rapidement en maximisant l’apport de protéines, se préparer pour sa journée de travail, apporter son sac pour le gym sur l’heure du midi, se rendre au métro et ensuite se donner à fond à l’hôpital où elle travaille. La publicité n’est même pas un irritant pour elle, car elle l’ignore 99,9% du temps, à l’exception des rares fois où elle a l'occasion d’écouter la télé ou encore de regarder dehors à partir du bus où elle aura exceptionnellement trouvé un siège pour le trajet. Et même là, même pendant ces rares moments, pour être intéressée par une publicité ou une marque, le produit ou le service devra la rejoindre dans ses préoccupations à court terme car elle envisage un achat, ou encore la faire rêver.  Et les réseaux sociaux et les clips «viraux» et tous ces trucs que les publicitaires vendent à leurs clients la laissent généralement de glace. Elle vit.

Sophie affectionne certaines marques par nostalgie de l’enfance ou de l’adolescence, elle achète souvent par mimétisme en étant oui, probablement, inconsciemment influencée par la publicité, mais encore plus par les gens de son entourage qui font le travail de défrichage pour elle. Elle possède une identité unique, certes, et l’image qu’elle veut projeter demeure en harmonie avec ses valeurs, sa culture, ses goûts. Elle aime ce qui est doux. Elle trime dur pour gagner son salaire et ne le dépense pas futilement. Enfin parfois mais très rarement, car elle déteste se sentir coupable ensuite.

Quand je vois des tonnes de gens se branler sur ce qu’une marque fait, dit, sur les nouveautés, les prototypes, sur telle ou telle orientation, s’offusquer de la refonte d’un logo qu’ils n’aiment pas (mettons celui d’Astral il n’y a pas si longtemps) ou encore prendre une photo du nouveau magasin «flagship» de telle bannière branchée, je me dis deux choses. De un, cette personne travaille en publicité et pense que tout tourne autour d’elle et de ce qu’elle fait, et elle fait bêtement erreur. De deux, si la première option n’est pas valable, et parfois elle le sera aussi, je me dis que cette personne n’a tout simplement pas de vie. Ou qu’elle vit par procuration et que notre nouvelle religion collective, le consumérisme, l’a faite apôtre. Un apôtre, c’est un «early adopter». Et franchement, quand tout ce que tu as à faire dans la vie est de faire la file une nuit de temps à moins vingt-douze pour te procurer le nouvel iPhone, c’est que vraiment, à y repenser, t’as pas de vie.

La très très grande majorité des gens se balancent des marques, de la publicité et de tous les concepts que les créatifs trouvent géniaux. Les marques doivent mériter leur endossement plus fort que jamais en respectant la réalité des cibles qu’elles visent et les publicitaires ne doivent jamais oublier l’humilité. Oui, ce mot, simple, l’humilité. Le contraire de la branlette. Comme dans «je sais que ce que je fais n’intéresse en principe personne et que c'est à moi de toucher la cible et non pas de me toucher moi-même». Mais ce que je vois, c’est souvent l’inverse: des gens qui croient avoir tout compris et qui se la pètent en espérant venir dans leur culotte en publiant sur Instagram une photo d’un trophée gagné lors d’un gala de frimeurs psychopathes, alors que la seule chose à comprendre vraiment en créativité publicitaire ou en branding, c’est que des filles comme Sophie, vraiment, se contrecrissent de vous et de vos concepts. Soyez vrais. Pensez à la vie des gens. Et là, vous aurez fait un pas, un petit pas, pour connecter avec Sophie.

dimanche 15 juin 2014

Le voyage

C’était l’hiver, la fin de l’hiver. Il y a environ 4 ans de ça. J’avais une réunion dans son coin à Laval avec un client potentiel et nous avions convenu que je passerais chez lui pour que nous allions luncher autour, pas loin. D’habitude, c’était lui qui venait me voir dans le Vieux-Montréal pour le dîner. Mais pas cette fois-là. Il ne se sentait pas bien depuis quelques temps. Il avait peint comme un défoncé, il était devenu un maître aquarelliste, au point d’être admis à la Société canadienne de l’aquarelle, mais là ça filait pas pantoute, je le sentais dans sa voix. Dans la voiture, en route vers le resto asiatique, il me l’a dit d’un coup sec: «J’ai le cancer du cerveau et j’en ai pour un an maximum selon le médecin». Paf. Il s’appelait Robert. 

Retour en arrière, nous sommes en 1995. Mon associé d’alors me dit qu’un fournisseur en pelliculage veut nous rencontrer, que c’est le père d’une amie du cégep, alors voilà. Nous sommes au 4e étage du 445 rue St-Pierre, dans la première mouture de ma première entreprise de design graphique. Il arrive et nous jase de ses services. Un grand gars sympathique, assez verbomoteur, le visage rond malgré une allure assez svelte à l’époque, mais d’une grande intensité dans les yeux. Un passionné, ça c’était clair. Un intense. Et moi, ce genre de personne m’intéresse. Parce qu’on peut pousser des conversations plus loin qu’à l’ordinaire, parce qu’on apprend en leur compagnie. C’était le début d’une relation d’affaires où il m’a confié plusieurs mandats et où je lui en ai confié quelques uns également, au fil des ans, sur près de 20 ans. Une relation d’affaires à l’image de notre amitié, jamais compliquée.

Plus tard en 2003… J’étais sur le bord de la falaise financièrement et professionnellement parlant. Mon univers s’écroulait sous mes pieds. Séparation, échecs en affaires, précarité généralisée. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même, toujours à craindre la prochaine mauvaise nouvelle, anticipant les lundis comme d’éternels rendez-vous chez un mauvais dentiste, mais lui, Robert, venait régulièrement me voir et nous discutions souvent plus d’une heure dans le «food court» du Centre de commerce mondial. Il me parlait de ses filles, il me parlait toujours de ses filles, de sa fierté de voir Nadine bien réussir en Californie et de la manière dont Marike avait trouvé sa voie. Il me parlait de ses petits-enfants, de Micheline sa femme, son ancrage, dont la santé le préoccupait parfois, de la crise financière américaine qu’il anticipait, de valeurs refuges, mais surtout, il m’écoutait et me conseillait à des moments où je me sentais seul sur terre. C’est dans ces moments qu’on sent la véritable valeur d’une amitié. Il a toujours cru en moi.

Je l’ai revu qu’une poignée de fois ces dernières années car j’ai été à la fois lâche et trop pris dans mes affaires. Je ne me mettrai pas la tête dans le sable: je sais que j’aurais dû être plus présent pour lui mais j’en étais incapable. Ça me brisait de le voir ainsi. La dernière fois fois que je l’ai vu, le 18 avril dernier, il avait encore toute sa tête malgré des moments d’égarement. Sa mémoire à court-terme le trahissait mais il pouvait me parler d’anecdotes datant d’il y a 15 ans. Et il combattait avec l’espoir de s’en sortir, dépassant de plusieurs années le pronostic initial, maintenant confiné à une chaise roulante et portant son gros kangourou en cotton ouaté avec capuchon, même si la température était normale. Il dormait beaucoup et il avait froid.

Robert Valade est mort hier. Pour un gars comme moi dont la figure paternelle est relativement manquante, c’était probablement plus qu’un ami. Je peux compter sur les doigts d’une main, probablement en excluant le pouce et l’index, le nombre d’hommes qui se sont réellement intéressés à moi et qui m’ont orienté dans la vie. Robert était l’un de ceux-là, un phare, un créatif inné, et il restera toujours présent dans ma mémoire. Peins-nous les plus belles aquarelles d’en haut mon chum.

Illustration: «Le marché flottant» par Robert Valade SCA - Aquarelle, 28’’ x 36’’

mercredi 11 juin 2014

Les premiers sont les derniers



La première nation Yocha Dehe Wintun, localisée en Californie, a récemment diffusé dans les marchés de plusieurs grandes villes américaines la publicité montrée en intro, lors de la finale de la NBA. La motivation est simple, toute simple, exposer le caractère rétrograde de l’appellation «Redskins» (peaux rouges), qui représente la marque de l’équipe de football américain de la capitale américaine. 

À l’ère de l’omniprésence de la rectitude politique, n’est-il pas totalement absurde qu’une équipe de sport professionnel d’une capitale nationale puisse véhiculer autant de cliché, de simplification, voire même de racisme par le biais de sa marque? La preuve que chez nos voisins du sud, qui se font un malin plaisir de faire la morale à tout un chacun, le respect de ceux qui étaient là des siècles avant eux demeurent toujours un défi. Comme quoi les premières nations sont probablement les dernières à exiger qu’on s’adresse à elles de la bonne façon.

Cette publicité est conventionnelle mais nécessaire. Elle retrace une histoire, une contribution, une diversité et une richesse essentielle à l'Amérique. Saurons-nous collectivement, un jour, trouver ce recul nécessaire à mieux comprendre les fondements de ce que nous sommes? À respecter la terre que nous violons? À appeler et à traiter les premières nations pour ce qu'elle sont, premières? 

lundi 9 juin 2014

Être pour l’être


Être parce que l’on sent que c’est ça notre vie. Que rien ne nous empêchera d’être là pour lui, pour elle. Être sans calculer, tôt le matin, tard dans la nuit, en route vers Sainte-Justine ou à changer une couche avant son premier café, avant l’aurore. Prendre dans ses bras. Réconforter. Par des petites tapes dans le dos, par le timbre de la voix, par les mots ou encore en lui tenant la main. Accompagner et être là quand les moments marquent le temps qui passe, être prêt à tout pour le ou la défendre et parfois avoir peur, enfin souvent: de la maladie, de mots qui ne sortent pas toujours aussi fluides qu’ils ne le devraient de sa bouche ou lors de sa chute à vélo. Mais être fier, tellement fier, à tous les jours ou presque. De ses yeux, de sa manière d’être, de sa personnalité qui émerge, de tous ces détails qui font de lui ou d’elle un être unique; mais aussi des feux d’artifices dans son cerveau qui font jaillir de sa bouche des idées et des formules qui explosent notre réalité d’adulte. Être parce que c’est comme ça, pas contre qui que ce soit et surtout pas en concurrence avec elle. Juste faire équipe pour un être qui se détachera lentement de notre propre nombril, parfois douloureusement, mais toujours pour que la vie se perpétue. Être père. Simplement. 

Le rôle du père a évolué avec l’éclatement des stéréotypes et l’émancipation, nécessaire et toujours en cours, des aspirations féminines. Ce rôle sain, hier joué à fond par quelques uns, me semble plus que jamais emprunté par toute une cohorte d’hommes pour qui la virilité ne se résume pas à distribuer des cigares à la suite de l’arrivée de bébé. Nous sommes nombreux et nos réalités évoluent. Nous trouvons, en exprimant nos émotions et en écoutant celles de nos conjointes ou conjoints, un équilibre propices à des vies enrichissantes et égalitaires. Les créatifs publicitaires gagneront à nous toucher dans ce que nous sommes, en cessant de nous représenter comme des raisins écrasés par «l’über gère-mène». L’égalité représente le premier fondement du rôle du père et offre une occasion formidable de positionnement à des marques qui savent voir plus loin que leur nez. Bonne Fête des Pères qui s’en vient. Et merci Dove.

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