mardi 16 avril 2013

Le décalage


Être victime du décalage horaire est un sentiment désagréable, c'est une brume cérébrale, un fonctionnement très partiel de ce que nous sommes. C'est une perte de contrôle, une fatigue par vagues, c'est aussi être irritable, à fleur de peau. Et si, dans le même ordre d'idées, nous étions tous en décalage existentiel? Que notre perception du monde et la réalité objective de ce dernier soient réellement en rupture? Et si ce que nous croyons être, physiquement, mentalement, moralement, si notre image mentale de nous-mêmes était réellement divergente de celle que les autres ont de nous? Évidemment, il y a autant de perceptions et de réalités qu'il y a d'individus, mais ce que j'implique ici, c'est que nous soyons pour la plupart systématiquement biaisés négativement quand il est question, entre autres, de notre apparence physique. Simplement par instinct de conservation ou par peur de souffrir du rejet des autres. Parce qu'il est plus facile de se croire «ordinaire» et de recevoir des compliments à l'occasion que de se penser très très belle ou beau et de devoir tomber de haut. 

Selon Dove, seulement 4% des femmes se trouvent belles. Ce chiffre est ahurissant et démontre un autre décalage: celui entre ce que nous croyons être la beauté, soit souvent celle véhiculée par les magazines et les vedettes, et ce qu'elle devrait être: une réflexion singulière de ce que nous sommes et qui marque de manière unique notre passage furtif sur terre. Mais ne mettons pas tout sur le dos des magazines, l'estime de soi est un projet ambitieux que peu de gens osent aborder. Souvent le projet d'une vie. Mais surtout, une décision et un pouvoir que nous devons reprendre.

Dans le film publicitaire montré en introduction, Dove démontre clairement le décalage des perceptions. Ce film incarne et transpose habilement ce que la recherche menée par la marque a apporté aux stratèges comme axe de création: les femmes ne se sentent généralement pas belles. Mais ne soyons pas dupes. Dove, c'est le conglomérat Unilever, donc c'est aussi la marque Axe, qui compte parmi les publicités qui véhiculent l'une des images les plus tronquée de la femme. Unilever, c'est également la crème Fair & Lovely, qui offre aux femmes de pâlir leur peau (le tout a été développé initialement pour la clientèle indienne). En matière de respect de l'image de la femme, Dove exploite donc un positionnement de transparence et d'authenticité par pur opportunisme stratégique. Et c'est correct ainsi, car en bout de ligne, ses pubs font du bien. 

Ce que j'aime de ce film, c'est l'idée de l'objectivité incarnée par l'artiste. C'est le résultat réel, soit ses croquis, et leur impact sur les femmes impliquées. C'est la nature organique de l'opération, qui relève plus de l'expérience psychologique ou sociologique que de publicité. Une belle et grande et toute simple idée qui reflète au fond un malaise généralisé de notre société par rapport à l'image du corps. Un triste décalage qui, malheureusement pour plusieurs, mine leur capacité aux bonheur.

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