L'humour fait partie des stratégies de création les plus prisées en publicité. Avec raison, car ça rapporte énormément aux annonceurs. Mais l'humour comporte aussi plusieurs pièges qu'il faut tenter d'éviter. Malheureusement, parfois, les meilleurs créatifs se plantent royalement en sous-estimant la sensibilité de certains segments de clientèle. Ce fut le cas de LG2 avec la dernière publicité de Familiprix, retirée aujourd'hui des ondes après une avalanche de réactions de la part de la communauté gaie tout comme de la plupart des intervenants en prévention de l'intimidation, un sujet chaud au Québec depuis environ deux ans. J'ai discuté de la publicité en question sur les ondes de LCN aujourd'hui, mais je tenais à approfondir un peu le sujet ici en développant sur les pièges reliés à l'utilisation de l'humour en publicité.
1- L'humour est culturel
Demandez à tout humoriste si le résultat d'un numéro sera la même devant différents publics parlant la même langue mais évoluant dans des espaces culturels différents et les réponses seront unanimes. Le niveau de sensibilité, de rectitude politique et d'ouverture variera passablement selon les marchés. De tenter de diffuser une publicité humoristique française ou algérienne sans l'adapter au contexte québécois pourrait vous coûter cher.
2- L'humour s'inscrit dans le temps
Les différents courants sociologiques et les grandes tendances affectent de manière importante le contexte dans lequel l'humour s'inscrit. Des sujets très sensibles aujourd'hui ne l'étaient pas il n'y a pas si longtemps. Il faut impérativement tenir compte du contexte social. Évident pour plusieurs, mais pas dans le cas de la dernière publicité de Familiprix.
3- L'humour est subjectif
Ce qui fera plier en deux de rire une personne peut en dégoûter une autre. Le décodage d'une situation humoristique est relié à notre culture collective, mais aussi à notre bagage de vie personnel tout comme à notre personnalité. Dans le cas qui nous occupe, il me semble évident qu'une personne ayant subi de l'intimidation ou de la violence physique, qu'elle soit ou non attribuable à son orientation sexuelle, ne réagira pas de la même manière qu'une personne depuis toujours à l'abri de sévices. Les commentaires que j'ai lus sur la page Facebook de Familiprix vont exactement dans ce sens. C'était prévisible.
La tentation de défier le cadre «acceptable» est souvent très forte. On met beaucoup de pression sur les créatifs pour qu'ils créent des messages percutants qui marquent les esprits. L'humour de type burlesque, grossier par définition, ne sied que très rarement à des marques dont les valeurs relèvent de l'empathie et de l'écoute. Le vrai problème avec la dernière publicité de Familiprix, c'est qu'elle a complètement évacué la mission première de la campagne - promouvoir la capacité de ses pharmaciens de se mettre dans notre peau - au détriment d'une blague décalée qui ne fonctionnait pas auprès de plusieurs segments. En publicité, ll n'y a pas de consommateurs stupides ou prudes, il n'y a malheureusement que des créatifs qui se trompent. Je suis entièrement d'accord avec Laurent McCutcheon, président de Gai-écoute, qui a mentionné ceci aujourd'hui: «Parfois en publicité, il peut y avoir des erreurs. De voir que l'entreprise ait pris la décision de retirer sa publicité, je crois qu'ils s'agit d'un geste noble». Personnellement, et c'est un paradoxe, j'ai également un peu peur du jour où les créatifs ne défieront plus les limites, car ça signifiera que nous vivons hélas dans un monde entièrement aseptisé. Car la publicité, quoiqu'en pensent certains, n'a pas comme mission première de défricher et d'amorcer les courants sociaux, elle doit plutôt se servir insidieusement de ces derniers pour rejoindre les objectifs des marques… Mais elle ne doit pas être plate pour autant!
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