Elle s'appelle Sylvie. Pas une mauvaise fille, juste déficiente du jugement. Elle a rencontré le mauvais gars à 17 ans, elle n'était encore qu'une grande enfant. Lui c'était un bum. Elle est tombée enceinte à 18 ans. La petite Léa avait de grands yeux et peu de cheveux, elle était la quintessence de la vie. À 10 mois, Léa s'est retrouvée sans papa, overdose. Et Sylvie, qui avait abandonné son boulot de vendeuse de cosmétiques chez La Baie pour élever sa fille à temps plein la première année de sa vie, se retrouva prise à travailler 6 jours par semaine pour arriver. Léa a grandi. Sylvie a fini par terminer son Cégep et se trouver un poste de technicienne en comptabilité. Léa a maintenant 9 ans. Elle va bien, mais jamais cette petite famille n'a vécu au-dessus de ses moyens. Plusieurs de ses amies passent présentement des examens d'admission pour le secondaire. Tout le monde est stressé. Pas elle. Elle se sent un peu à part dans son groupe d'amies, triste, mais pas stressée.
Croyez-vous que la mère de Léa aura les moyens de la faire fréquenter une chic école privée pour ses 11 ans? Croyez-vous que Léa ira à Paris en secondaire 2 avec sa classe? Est-ce normal dans une société dite évoluée que nous acceptions que certains enfants ne se voient pas offrir les mêmes chances que d'autres d'aspirer à la culture et au développement optimal de leur potentiel? Ces enfants ne sont pas des entités abstraites, ils respirent, ils vivent, maintenant.
«Si elle est pauvre, c'est sa faute», diront plusieurs. Peut-être, c'est pas si simple, mais oui, Sylvie a un peu couru après même si ses parents ne l'ont jamais élevée. Elle n'a pas su s'élever elle-même au-dessus de la mêlée, se résignant à vaguement altérer pour le mieux un certain cycle de la pauvreté. Mais Léa? Elle n'a jamais rien demandé à personne. Elle est arrivée là. Elle a encore la vie devant elle.
L'élitisme social, peu importe son visage, consiste à déplacer des ressources du secteur public vers le secteur privé, là où seuls les mieux nantis pourront en profiter. Là où seul le pouvoir de l'argent prime. Là où l'on place une grosse barrière intransigeante et froide: tes parents n'ont pas les moyens de payer, dégage. Léa, petite, tu ne peux franchir cette porte car ta mère n'a pas les moyens de payer. Kevin, tu peux entrer. Léa, non, reste dehors.
C'est ça le gros bon sens? C'est ça votre idée de la justice? On vit dans une société libre mais de grâce, qu'on s'assume et qu'on arrête de faire passer de l'arrivisme ou de l'individualisme pour du réalisme. Léa qui se fait fermer la porte au nez, ne fût-ce que sur le plan symbolique, ça me donne la nausée.
Tu fais du gros argent? Tu conduis une Porsche Panamera? Tu bois un Romanée-Conti à 600$ la bouteille un mardi soir? Tu vis dans une cabane de 2,4 millions$ sur le bord d'un terrain de golf huppé? Je n'ai aucun problème avec ça et ça me rend fier au fond. La réussite doit être appréciée et valorisée, la culture du risque et de l'entrepreneuriat également. À chacun ses choix de consommation, à chacun ses valeurs. Tout jugement restera futile.
Mais quand on parle d'égalité des chances, de nos enfants, votre malhonnêteté intellectuelle me désole. Nous pouvons nous respecter collectivement TOUT en préservant notre liberté d'entreprise ET notre potentiel de succès individuel. Mais pour se faire, il faut commencer par cesser cette hypocrisie. Pour toutes les Léa.
C'est d'autant plus choquant que bien des institutions élitistes sont fortement subventionnées par l'état pour imposer un cycle discriminatoire basé sur les capacités financières des parents. Bravo pour l'institutionnalisation de l'élitisme financier.
RépondreSupprimerCe qui est encore plus frustrant, c'est que les parents très fortunés ont accès aux mêmes services que les parents moins riches, mais l'inverse n'est pas vrai.
Le propriétaire de la Porsche Panamera peut très bien envoyer son enfant dans un CPE à 7$ par jour, mais une personne de la classe moyenne ne peut envoyer son enfant dans une école secondaire où les ressources financières sont là pour que l'enfant apprenne 2 autres langues.
C'est très dommage.
Marc St-Pierre 25 sept 2012
SupprimerJe suis membre du comité de parents du Collège Antoine-Girouard de St-Hyacinthe.Nous ne sommes pas une institution élitiste mais là n'est pas la question.
Pour la majorité des collèges privés la clientèle provient de la classe moyenne et représente un choix familial cad qu'on choisi (souvent avec l'aide des grands-parents)de fournir de l'encadrement à l'ado pour certains ou tout simplement de refiler la charge de l'éduquer au Collège pour de trop nombreux.
Les frais de $2500 payés par les parents représentent environ 30% des frais de scolarité; les autres 70% venant de l'état.
La pertinence du privé est certainement discutable; les arguments ne manquent pas le premier étant que de retirer de bons étudiants du secteur publique diminue le niveau de stimulation dans les groupes forçant les polyvalentes à offrir le niveau international qui représente aussi une certaine forme de discrimination.
Alors pourquoi aucun gouvernement (tous partis confondus) ne propose d'abolir les subventions au privé? Une explication: 18% des étudiants au secondaire fréquentent le privé; pour ces étudiants le gouvernement "économise" 30% des coûts. Si l'état cesse de financer le privé à hauteur de 70% les parents de la très grande majorité des étudiants n'auront pas les moyens d'y inscrire leurs enfants; 90% des collèges privés fermeraient.
L'état hériterait d'environ 16% des étudiants du secondaire avec 100& des frais à assumer; les ressources humaines, matérielles mais surtout financières ne seraient pas au rendez-vous.
Du point de vue strictement comptable ce sont les élèves du privé qui financent le ministère de l'éducation à hauteur de + ou - 30%.
Aucun gouvernement aux prises avec les finances publiques que nous connaissons ne s'attaquera au privé!
Ne pas l'expliquer est aussi une hypocrisie!
Seulement ensuite pourrons-nous faire les choix qui s'imposent.
Merci Jean-Michel et Marc pour vos commentaires.
RépondreSupprimerUn fait à noter concernant l'analyse fort pertinente de Marc: la nature de mon billet est l'égalité des chances et non l'équilibre des finances publiques, un sujet fort intéressant et crucial, mais qui n'est pas à la base de mon intervention. Mais petit fait à noter: les collèges privés fonctionnent en vases clos et entraînent des coûts énormes en dédoublements, coûts assumés en bout de ligne autant par l'état que les clients. Si le système public ne s'assume pas, il faut le réformer ou lui donner les moyens.
Qui plus est, de justifier l'élitisme par son rôle dans le financement du régime public (une forme d'altruisme à l'égard des démunis du public) est foncièrement hypocrite, car en bout de ligne, un fait demeure, les enfants de «pauvres» ne possèderont pas les même opportunités que ceux des «riches». Une vaste réflexion s'impose, car peu importe comment on rationalise sa réflexion pour justifier le privé, il y aura toujours des laissés-pour-compte. Et ça, c'est inacceptable.
Je ne cherche pas à justifier l'élitisme pour son rôle de financement;simplement je dénonce le fait que les gouvernements succesifs (d'ici et d'ailleurs ds le monde)s'en accomodent fort bien.
SupprimerOn assiste à la même politique "d'autruche" en matière de santé; sachons réagir même s'il se fait déjà tard.