La loterie de la vie est injuste. Certains naissent différents des stéréotypes associés à la beauté, à un moment donné. C'était le cas il y a 60 ans et ce l'est encore aujourd'hui. Trop gros, trop maigres, trop petits, les yeux trop écartés, les lèvres trop minces, la poitrine absente, le bassin trop évident, et j'en passe. Moi c'était une dépression congénitale entre mes pectoraux, qu'on appelle «Pectus Excavatum». La loterie de la vie est injuste, mais notre ferveur de vivre, d'aimer et d'être aimé, persiste. Ce feu réside en nous, résidait en moi, y perdure toujours. L'apparence reste avant tout une question de différence. Or, la société véhicule des valeurs qui tendent à nous uniformiser vers un idéal inaccessible. On érige la beauté extérieure véhiculée par les magazines en Saint-Graal, alors que notre véritable apport se situe au contraire dans cette énergie particulièrement unique qui nous a été donnée. Avec la résultante que nous évoluons seuls ensemble, souvent gênés et psychologiquement isolés par notre différence; à socialiser, à sourire, à dire ce qu'il faut pour faire partie de la masse, pour se fondre. Avec en arrière-pensée ce sentiment désagréable de n'être en quelques sortes qu'un imposteur. Nous en sommes tous.
La publicité contribue pour beaucoup à façonner notre perception de ce qui est beau et attirant. Cette publicité n'a pas d'âme. Même quand elle se donne des airs de bien-pensante, comme Dove par exemple, en ne montrant que de la marginalité esthétique. Cette publicité à laquelle nous sommes tous exposés des dizaines de fois quotidiennement, mise avant tout sur notre plus grande vulnérabilité: cette honte relative de notre différence. Pourquoi? Simplement pour vendre par milliards des produits plus souvent qu'autrement inutiles. Elle nous dit de perdre du poids, de se faire corriger une bosse sur le nez, de se faire augmenter la taille du pénis ou des seins, de blanchir nos dents, elle nous disait naguère d'engraisser de 15 livres pour enfin plaire, elle joue dans la tête de nos adolescents lorsqu'ils et elles en sont à une période névralgique de définition de leur identité, elle rend certaines femmes complètement hystériques à l'idée de voir des rides apparaître autour de leur yeux, elle dit aux hommes qu'ils sont des «mononcles« lorsqu'un ventre apparaît, bref, elle amplifie et entretient un certain déficit d'estime de soi que la majorité d'entre nous traînons comme un boulet, en appuyant injustement sur le bon déclencheur, sur le bon piton. Tout ça pour satisfaire aux objectifs de croissance communiqués aux actionnaires par des conglomérats de l'apparence froids et dénués d'empathie.
La publicité demeurera toujours associée à la vente. Ce n'est pas le problème. Le réel enjeux se situe dans la nature des stratégies de création mises de l'avant pour arriver à ses fins. Quand on exploite de manière concertée des failles psychologiques, ce n'est rien de moins que de l'abus. La publicité n'est pas la seule coupable, mais son rôle est indéniable. De voir des jeunes autour de moi être exposés à ces messages me trouble. Je sais ce que ça peut faire de se sentir différent. Je sais tous les réflexes compensatoires que la douleur psychologique peut induire. Et j'aimerais que ça change. C'est pourquoi je n'emprunte pas cette voie dans ma pratique de publicitaire et que j'entends en parler à chaque occasion qui me sera donnée. À quand une publicité inspirante qui atteindra ses objectifs de ventes tout en valorisant réellement l'importance de la différence dans l'apport de l'individu à la mosaïque sociale? À quand la pulvérisation totale et permanente de ce sentiment d'imposture qui torture trop de personnes sensibles? À quand une mise au rancart de cette culpabilité de n'être que ce que nous sommes?
L'image a été obtenue via Retronaut, merci du tuyau à Marie-Claude Dubois.