Nous ne savons pas ce qu'est vraiment la jungle. Nous n'avons connu ni la guerre, ni la grande dépression et rares sont ceux d'entre-nous qui ont réellement évolué dans une situation précaire au point où la loi du plus fort primait. La jungle, c'est de laisser aller les choses, de laisser la loi de l'offre et de la demande gérer nos vies. C'est drôle, car même si nous n'avons aucune idée de ce qu'est la jungle, plusieurs d'entre nous en rêvent. Combien de nos proches émettent tout haut leur désir de voir l'aide sociale abolie? De voir les subventions aux artistes et aux agriculteurs coupées? De voir les syndicats trucidés? C'est assez cocasse, car tous ceux qui rêvent de la jungle, ou presque, sont dans une situation blindée, à l'abri des risques et trônent au somment de la pyramide de Maslow. En clair, de vouloir la jungle, c'est de nier toute forme de responsabilité à l'égard du bien commun et de la misère de certains. On achète sa bonne conscience lors de la grande guignolée et hop, tout est réglé! Mais ce n'est pas aussi simple car nous ne vivons pas en silos. Le sort des uns influence celui des autres. Nous sommes tous interconnectés d'une façon ou d'une autre. Il n’y a rien de valorisant à regarder crever son prochain.
Pour nous, publicitaire, la jungle, ça se résume à prendre tous les moyens pour arriver à nos fins dans le cadre légal de notre pratique, mais sans vraiment se soucier des questions éthiques. Ça veut aussi dire d'utiliser toutes les tactiques possibles pour s'accaparer de nouveaux clients au détriment des autres agences. C'est la fin qui justifie les moyens. Et cette fin, c'est de posséder plus que sa part du pactole publicitaire disponible dans notre petit marché sommes toutes limité. Certains y arrivent à cause de leur talent, d'autres par leurs contacts ou leur pouvoir, mais la deuxième option prime trop souvent sur la première, suffit de lire les nouvelles.
J'en ai vu de toutes les couleurs depuis quelques années. Et pas seulement du côté des agences de publicité, qui ont souvent le dos large, mais aussi du côté des clients annonceurs. J'ai constaté de l'injustice lors de pitchs d'organismes publics, lors d'un appel d'offre d'un partenariat public-privé, j'ai vu des prospects du secteur privé arranger les choses pour que leurs amis soient choisis, même si la création sélectionnée était merdique et a par la suite été rabrouée partout, bref, j'en ai vu de toutes les couleurs. Croyez-moi, la jungle étouffe le talent. La prémisse la plus fausse est celle qui fait croire à certains que le plus fort est ultimement le plus méritant. C'est plutôt le plus astucieux qui ramasse généralement la mise et l'astuce demeurera toujours plus proche de la tromperie que de la créativité. Le talent se tient généralement loin de la duperie. Je préfère mon monde parfois plus aride, mais d'autant plus vrai, à cette jungle humide et vide de sens. Je préfère grandir avec des racines plus fortes, c'est ma valeur.