dimanche 20 juin 2010

Les idiots

Une marque, peu importe sa nature, doit concilier ses intérêts à court terme avec ses intérêts à plus long terme. En stratégie de marque, on voudra donc en priorité fidéliser nos clients pour en augmenter leur valeur à vie, c'est-à-dire en maximisant le potentiel qu'ils investiront tout au long de leur vie dans la marque, que ce soit par la fréquence d'achat ou la valeur moyenne des transactions. Donc, c'est tout sauf un hasard si McDonald's investit de façon substantielle dans la fidélisation des enfants, car ceux-ci seront ses clients de demain, c'est la roue qui tourne. Quoiqu'il en soit, les impératifs à court terme prennent de plus en plus d'importance avec les attentes des actionnaires qui exigent un rendement maintenant. Des actions doivent ainsi être prises en temps presque réel pour s'assurer de tirer son épingle du jeu. Toutes les stratégies virales ou publicitaires vont dans ce sens. Ce que je viens de décrire, c'est l'approche normale, logique, celle que mettent de l'avant les marques sérieuses. Il y a cependant une marque québécoise qui fait le contraire. Une marque gérée par des idiots: Les Canadiens de Montréal.


Depuis plus de 7 ans, soit depuis l'arrivée en poste de Bob Gainey à titre de Directeur général, les Canadiens ont réussi, malgré des performances en dents de scie, à solidifier une base de fans dans les segments les plus jeunes. Bonne chose. Mais ce qui me tétanise, c'est réellement la méprise des dirigeants de la marque sur les causes réelles de cette réussite, qui relèvent de tout sauf de leur génie du marketing. Selon moi, dans la conjoncture actuelle où réside un grand vide politique et idéologique, il est juste normal que des gens qui ont envie de croire en quelque chose se réfugient dans le sport, dans leur sport national. Cette affiliation est aussi intrinsèquement liée à la question d'identité, et là je ne parle pas de la langue, car les anglophones s'identifient tout autant au club que les francos, mais bien à ce besoin de fierté qui dépasse notre nombril, à la projection de ce que nous sommes dans quelque chose de plus grand, à l'échelle de la société québécoise.


Et là, dans ce contexte plus que favorable, on fait des erreurs. Une succession d'erreurs. Le repêchage, à quelques exceptions près, est une catastrophe. On congédie en panique un entraîneur, possiblement l'élément le plus populaire de l'équipe à l'époque, pour des raisons futiles qui ne tiennent pas la route. On ignore le fait français. Ensuite, face à l'échec, on change la quasi-totalité de l'équipe et on y greffe de nouveaux éléments (plusieurs de grand talent tout de même), en plus d'un nouvel entraîneur aussi charismatique qu'une plante verte. Mais les fans suivent, ils ont besoin de croire. Puis, surprise, survient une participation par la peau des dents aux séries éliminatoires, après une saison pour le moins inégale. Un joueur, notre gardien, Jaroslav Halak nous permet de franchir la finale d'association, la dernière marche avant la finale de la Coupe Stanley. Une première en 15 ans. Montréal, voire tout le Québec, vibre. L'organisation vend des panneaux de signalisation «arrêt» à son effigie tellement le gardien de but est dominant. Éliminer les champions de la saisons régulières et les champions en titre de la Coupe Stanley, coup sur coup, relève plus du miracle que de la planification de ces dirigeants chanceux. Cette performance donne toutefois à la marque «Canadiens» un élan inespéré. L'organisation, on le sait, ne vaut rien sans ce que les partisans lui apportent. Et que fait-on, quelques semaines plus tard? Après avoir empoché ces millions de dollars en produits dérivés, dont ces fameux «stop»? On commet la pire des conneries au nom d'un supposé plan d'avenir qui, on le voit bien depuis 5 ans, n'a rien généré, niet. On échange la raison de nos succès, de notre ferveur, un gardien de 24 ans plein d'avenir, au nom de l'avenir. On laisse toute la place à un gardien de grand talent, Carey Price, mais qui a une faiblesse marquée entre les deux oreilles. Pour des espoirs bien flous. Stupide. À Montréal, l'avenir c'est maintenant. Halak nous donnait l'avenir sur un plateau d'argent. On a préféré l'écervelé à la réalité.


Quand on voit les succès des marques et des agences qui innovent, on ne peut que constater l'importance du produit qui doit être réellement imbriqué dans la marque. On le voit avec Apple, avec l'agence Sid Lee qui s'implique en amont, notamment avec son client Adidas. Le «produit» des Canadiens repose sur l'équipe sur la glace, sur l'expérience de la victoire et sur les liens qui unissent les amateurs aux joueurs et au personnel d'entraîneur. Imaginez une seconde Mcdonald's qui enlèverait le Big Mac de son menu? Imaginez le Cirque du Soleil qui retirerait son spectacle le plus populaire? Ce serait simplement idiot. Et bien c'est exactement ce qu'ont fait les Canadiens avec le congédiement de Guy Carbonneau en 2009 et avec l'échange de Halak la semaine dernière, en croyant bien naïvement que les succès de l'équipe étaient le fruit de leur sagesse, quand rien n'est moins sûr. Je vous garantis que la ferveur des fans est sérieusement en voie de s'étioler. Car il y a bien un bout à tout.

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